Il a suffi d’une phrase. Une sentence lancée comme un glas : « Ouattara a tout verrouillé. » En prononçant ces mots lors du meeting conjoint de l’opposition, Pascal Affi N’Guessan, ancien Premier ministre et figure politique de la scène post-crise, a voulu frapper fort. Mais il a surtout mis à nu — volontairement ou non — la panne stratégique d’une opposition ivoirienne qui semble tourner en rond depuis plus d’une décennie.
Car enfin, que signifie ce « verrouillage » ? Est-ce une accusation frontale de dérive autoritaire ? Un aveu d’impuissance déguisé ? Ou un signal d’alarme lancé à une opposition qui ne parvient toujours pas à transformer la critique en alternative, l’indignation en stratégie, et la mémoire en programme politique ?
Un verrouillage… ou une vacance d’imagination ?
Il est vrai que le RHDP tient aujourd’hui les rênes du pouvoir exécutif, de l’appareil sécuritaire, d’une grande partie de la justice, et bénéficie d’une influence considérable sur les circuits religieux et traditionnels. Mais cette emprise, aussi étendue soit-elle, ne s’est pas imposée par magie. Elle s’est construite sur des erreurs répétées de l’opposition, sur des retraits calculés du terrain électoral, sur des postures de boycott transformées en stratégie de long terme, et sur un refus têtu d’admettre que la politique ne se fait pas qu’à Abidjan, mais dans chaque hameau, chaque quartier, chaque urne.
L’argument du verrouillage prend alors un autre visage. Et si ce verrouillage n’était pas seulement l’œuvre d’un pouvoir solide, mais le produit d’une opposition incapable d’assumer les règles du jeu démocratique jusqu’au bout ? Une opposition qui, depuis 2010, oscille entre radicalité contestataire et attentisme institutionnel, sans jamais assumer pleinement ni l’un ni l’autre.
Le précédent de 2000 oublié
On se souvient qu’en 2000, le RDR de Ouattara avait boycotté les législatives. Un geste symbolique mais stérile, qu’Alassane Ouattara lui-même qualifia plus tard d’erreur stratégique. Pourtant, cet épisode n’a jamais été analysé avec la rigueur qu’il mérite par ses adversaires d’aujourd’hui. Pis encore, ils ont reproduit les mêmes logiques de retrait à plusieurs reprises, comme lors de la présidentielle de 2015, ou les législatives de 2016, laissant au RHDP le champ libre pour s’implanter durablement dans toutes les strates de l’État.
Une opposition qui se verrouille elle-même ?
Affi pose la bonne question, mais il évite d’y répondre pleinement. Car il y a un autre verrou dont personne ne parle, et il est interne. L’opposition ivoirienne se verrouille elle-même lorsqu’elle se refuse à l’introspection, lorsqu’elle persiste à défendre des postures d’un autre âge, lorsqu’elle s’entête à croire que la rue peut remplacer les urnes, et que la colère suffit à faire programme.
Pire encore, c’est une opposition qui continue, parfois sans le dire, de véhiculer des relents “ivoiritaires”, ces relents qui, malgré leurs condamnations affichées, nourrissent encore certaines hostilités internes — notamment à l’endroit de figures comme Tidjane Thiam. Pendant que le RHDP, lui, façonne une majorité électorale multiethnique et transgénérationnelle, l’opposition reste trop souvent prisonnière de ses bastions historiques et de ses combats identitaires.
Le peuple : le verrou ultime ?
Dans son discours, Affi évoque un verrouillage de l’armée, de la justice, des religieux, de l’État. Mais il oublie le seul vrai détenteur du pouvoir démocratique : le peuple. Ouattara ne l’a pas verrouillé. Il a su lui parler, s’adresser à lui, l’organiser, parfois le séduire, souvent le convaincre. L’opposition, elle, semble s’adresser à ce même peuple avec des éléments de langage usés, une vision nostalgique du passé, et une absence criante de renouvellement générationnel et programmatique.
Il n’y a pas de verrou sans clé.
Le verrouillage dénoncé par Affi N’Guessan n’est donc peut-être rien d’autre que le reflet d’une opposition qui a perdu ses clés : celles de l’organisation, du terrain, du langage, de l’espérance. Oui, le pouvoir s’organise, se renforce, s’étend. Mais l’opposition, elle, s’observe, se morcelle, se méfie d’elle-même. Et si elle ne change pas de posture, elle se condamnera à rester spectatrice d’un système qu’elle prétend pourtant dénoncer.
Car la démocratie ne punit pas ceux qui verrouillent. Elle sanctionne ceux qui n’ouvrent plus rien.
Par La Rédaction
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