L’Odyssée De Guillaume Soro Dans Le Gôh – 2ème Partie : Le Discours De Vérité De Gagnoa

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« Dans ce pays, il est courageux d’inviter Guillaume Soro »

L’Odyssée n’est pas seulement l’histoire d’un héros qui, après moult périls, rentre victorieusement en ses terres natales. Elle raconte aussi en filigrane la quête universelle de la vérité. Or, les philosophes de l’antiquité grecque nous ont justement légué  une notion, astucieusement reprise par le philosophe français Michel Foucault dans ses Leçons au Collège de France des années 80, où officia aussi en son temps le grand anthropologue ivoirien Harris Mémèl Fotê. La notion que j’évoque est celle de « parrhésia », que l’on peut traduire par « le courage de la vérité ». Que signifie-t-elle ? Elle désigne cette disposition bien singulière d’une personne humaine douée d’un caractère bien trempé, lui permettant de dire tout haut, par des temps où la lâcheté a refermé bien des lèvres, ce que tout le monde pense prudemment tout bas. Celui qui parle ainsi, au risque de sa vie, est loin d’être fou. Ce n’est pas un suicidaire, c’est un révolutionnaire du Bien. Il estime que pour le Bien commun, ne pas dire ces vérités est la pire des menaces et que l’existence individuelle bien assumée, ne vaut rien quand elle se dérobe à cette épreuve de sincérité. Certes, il remet ainsi en cause toutes les aisances qu’il possède, en se jetant dans une arène où les loups du mensonge rampant l’attendent anxieusement. Mais le révolutionnaire du Bien sait que le sens d’une vie est aussi dans son pouvoir de sacrifice. Alors, tel le guerrier de lumière de Paolo Coelho, l’homme qu’obnubile  le « courage de la vérité » avance.

Qui ne voit pas où je veux en venir ?  Le courage de la vérité, cette parrhésia des premières cités démocratiques grecques, ne trouve-t-il pas un exemple incarné dans le discours livré par le Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, l’Honorable Guillaume Kigbafori Soro, le 17 août 2013, sur la place Laurent Gbagbo de Gagnoa, au terme de sa mémorable visite de la région du Gôh ?  Je ne reprendrai pas dans la présente tribune, tous les termes d’un discours disponible autant sous forme écrite qu’audiovisuelle sur les sites de l’institution parlementaire ivoirienne. Je voudrais seulement dégager ici quelques axes d’interprétation, qui illustreront précisément le thème du courage de la vérité, dans l’économie doctrinale d’un Guillaume Soro, engagé plus que jamais dans le processus de  réconciliation et de  modernisation démocratique de son pays. Pour montrer la saillance du « parler vrai » chez Guillaume Soro, il ne sera cependant pas inutile de revenir sur la propagande du FPI,  qui avait précédé et donc en partie motivé sa prestation de clôture sur la très symbolique Place Laurent Gbagbo de Gagnoa. On comprendra alors pourquoi le 17 août 2013 à Gagnoa, Guillaume Soro a livré, ni plus, ni moins qu’un « Discours de vérité » à l’endroit où le bât ivoirien blesse encore : l’endroit du pardon.

On ne comprendra évidemment rien au Discours du 17 août 2013 à Gagnoa si l’on n’a pas fait un tour d’horizon de la sanctuarisation du pays bété organisée par les officines d’intoxication du Front Populaire Ivoirien depuis la chute de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011. En quoi consistait donc le discours du FPI ? En quatre axes majeurs d’une stratégie globale de la terre brûlée et de la chaise vide : 1) La négation forcenée de la défaite électorale de Laurent Gbagbo aux présidentielles de novembre 2010, avec pour corollaire la thèse de la recolonisation organisée de la Côte d’Ivoire par la France ; 2) La mobilisation et l’embrigadement des populations de l’Ouest Ivoirien dans une logique de défiance et de milicisation contre le pouvoir RHDP d’Alassane Ouattara ; 3) Le refus systématique des appels à la réconciliation et au pardon, au nom d’une conscience de soi victimaire, entretenue contre vents et marées, voire au mépris du bon sens ; 4) La dé-légitimation effrénée du pouvoir Ouattara jusqu’à une probable insurrection générale citoyenne qui bénéficierait de l’appui des cellules armées dormantes de l’ex-parti au pouvoir pour reprendre le contrôle des institutions ivoiriennes et exiger le retour du Messie Laurent Gbagbo à cors et à cris. C’est donc sur le fonds de cette quadruple stratégie politique que le Front Populaire Ivoirien a sommé les Abiet, Odette Lorougnon et Dano Djédjé de sonner la charge contre Guillaume Soro, en brandissant notamment des menaces symbolico-mystiques, un chantage à l’attentat-suicide, et une mise au défi psychologique qui valait bras d’honneur comme le Chef du Parlement Ivoirien, seconde personnalité de l’Etat de Côte d’Ivoire en outre. Examinons les quatre tentacules des Refondateurs dans cette affaire.

Pour l’embrigadement des populations de l’Ouest, le FPI aura tenté de s’appuyer sur le socle de rancunes et les désirs de vengeance offerts par l’histoire sanglante du Guébié des années 70. En se fondant sur la résistance autonomiste de Kragbé Gnagbé et les rivalités qui opposèrent les élites des syndicats de l’Ouest à Houphouët-Boigny dans les années 50-60, le FPI a voulu faire du pays bété un sanctuaire anti-Français et donc anti-Alassane Ouattara et anti-Soro, puisqu’il a présenté la défaite électorale de son champion comme une mascarade organisée par la France via l’ONU. Si, selon l’expression frontiste consacrée, l’élection 2010 a échappé à Gbagbo «  à cause de Choï », supposé être à la solde de Paris,  la négation de l’élection faisait de la Côte d’Ivoire le fer de lance d’une nouvelle propagande antifrançaise durable. On a donc dit dans toutes les langues de l’ouest aux populations de ne pas se fier au candidat de l’étranger, au « mogossi », au président de la communauté internationale, au déporteur de leur fils émérite Laurent Gbagbo en captivité dans le nord, puis à l’étranger. Quelques troubadours, comme le Vieux Ménékré, ont même été instrumentalisés, pour recouvrir la politique du gouvernement RHDP du nom de « politique tordue », tandis que les officines diasporiques et médiatiques du FPI entonnaient le chat éculé de la « justice des vainqueurs ». Le Discours et les actes posés par Guillaume Soro dans le Guébié puis dans l’ensemble du Gôh, à partir du 15 août 2013, notamment via la thérapie collective offerte aux populations de Gnangbodougnoa, ne sont-ils pas venus briser ce chapelet de mensonges éhontés ? Appelant les Guébié à l’élévation de l’amour du Bien Commun et aux urgences du développement, Guillaume Soro les aura assurés de la disponibilité de la république pour l’avenir de leurs enfants, au grand dam des stratèges frontistes que son succès initial a laissés pantois. En s’inquiétant pour la misère concrète des gens du Gôh qui manquent de tout, Guillaume Soro leur a dit qu’il les estime avant tout. L’Homme passe avant la politique et la politique n’a de sens que si elle est faite pour l’Homme. Et d’une.

De deux, la logique de défiance et de milicisation de l’ouest ivoirien est l’autre constante de la politique stratégique du FPI depuis la chute lourde de son mentor Gbagbo à Abidjan. Longtemps désoeuvrés par dix années de discours creux où la haine des étrangers masquait l’absence d’emploi, de sécurité sociale, de productivité économique et de vision d’avenir, les jeunes frontistes se sont vus promettre aux lendemains de la chute de Gbagbo, une carrière militaire ou paramilitaire assurée dans la résistance au pouvoir Ouattara à partir des forêts de l’Ouest et dans la zone frontalière de l’est, à proximité des pays Agni et du Ghana. A partir du Libéria et de la frontière ghanéenne, les stratèges du FPI comptaient instrumentaliser à fond les crises liées au foncier rural pour lever des colères fulminantes contre le pouvoir. Qui ne voit pas que les défaites militaires successives infligées par le BSO du Commandant Losseni Fofana aux miliciens de l’Ouest, tout comme les coups de boutoir judiciaires qui ont frappé les cadres-militaristes du FPI planqués au Ghana, voire au Togo, ont achevé de doucher les ardeurs de nos frontistes sur le terrain de la lutte armée ? Ce n’est sans doute pas par amour des urnes et de la démocratie que le FPI de Pascal Affi Nguessan s’apprête aujourd’hui à reprendre le chemin de l’action d’opposition pacifique. C’est par dépit des armes qu’ils tournent aujourd’hui sept fois leurs langues en bouche avant de parler. C’est bien parce que les Lida Kouassi Moïse, Blé Goudé Charles, Miaka Oureto, Koua Justin, et consorts, ont enfin mesuré les limites de leurs schémas tactiques d’attaque contre le régime démocratique et légitime de la république de Côte d’Ivoire. Qui sera assez naïf pour croire que leurs tentations ne les reprendraient pas en contexte favorable ?  On connaît la manière inimitable de s’asseoir du FPI…

Car, et de trois, l’art de s’asseoir du FPI est entièrement basé sur une monomanie mentale organisée, têtue et méchante. Elle consiste à s’autoproclamer parti des saints de Côte d’Ivoire contre vents et marées. Selon la propagande frontiste, le FPI est cette organisation du Bon Dieu qui a offert la démocratie à la Côte d’Ivoire. Le FPI est cette chose sacrée qui a accédé au pouvoir en Octobre 2000 par la volonté de l’Eternel, qui se serait arrangé à éliminer les candidatures d’Alassane Ouattara et d’Henri Konan Bédié, afin que la confrontation Guéi / Gbagbo offre le trône d’Eburnée à l’enfant miraculé de Mama. Pour la propagande du FPI, Laurent Gbagbo a gouverné la Côte d’Ivoire à merveille pendant 10 ans. Les frontistes croient dur comme fer que Gbagbo n’a surtout pas perdu l’élection 2010, qu’à ce titre, il demeure le président élu et légitime de Côte d’Ivoire. Dès lors, ne resterait-il plus qu’à attendre, selon les prédictions enfiévrées du Pasteur Koné Malachie, le retour de l’enfant prodigue Gbagbo au Palais Présidentiel du Plateau qu’il n’aurait quitté qu’à cause de la trahison des Français ? L’intervention de Guillaume Soro à Gagnoa le 17 août 2013 aura contribué à lever les écailles des mensonges frontistes sur les yeux embrumés du pays bété. Contre l’amnésie rampante du FPI, le Discours de Guillaume Soro s’est fait catharsis par le ressouvenir. « Remember make free », dit l’adage anglais. Comme la pluie qui retombait enfin sur Gagnoa après de longs mois d’interruption, le rappel des conditions de transparence exemplaire de la dernière présidentielle ivoirienne 2010, le rappel de l’ingratitude de Laurent Gbagbo envers ceux qui ont préservé sa vie alors qu’il n’aurait pas fait la réciproque, les rappels de l’assassinat des Guéi, du Dr Dacoury-Tabley en 2002, et de la tragédie des 3000 morts de la crise postélectorale 2010-2011 provoquée par Gbagbo, ont eu le don de ramener le peuple de Gagnoa dans la fraîcheur sacrale du Vrai.

Enfin, et de quatre, Guillaume Soro, serein et imperturbable comme toujours, a vaincu le Dragon de la terreur mystico-psychologique, du chantage à l’attentat-suicide, et répondu présent au défi lancé par le Front Populaire Ivoirien qui avait décrété une interdiction formelle de voyager contre l’Etat dans ses supposées principautés de l’Ouest. Les Abiet, Lorougnon, Dano Djédjé s’étaient empressés de proclamer l’impénétrabilité du bétéland, qu’ils présentaient comme le Blockhaus de la politique gbagboiste et l’ultime terrain où ils livraient le baroud d’honneur contre le régime Ouattara. Or, qu’a-t-on vu ? Guillaume Soro a vraiment terrassé les dragons de papier du FPI. Du revers de la main, il est directement allé vers le peuple du pays bété, conscient du rôle pervers joué par la dialectique ténébreuse des cadres frontistes pour couper le pouvoir des gens du Gôh. C’est bien dans Gnaliépa, Bougrou, Mama, Gnangbodougnoa, Ouragahio, Guibéroua, Kpopkrobouo, que Guillaume Soro a longuement mis les pieds et conversé avec ses frères et sœurs, beaux-parents et amis du Gôh. C’est bien à partir de la Place Laurent Gbagbo de Gagnoa que Guillaume Soro, heureux de voir que l’inamovible peuple bété n’avait pas suivi les oukases de certains de ces cadres décidément mal encadrés, devait délivrer une parole de compassion, de justice et de rigueur, libre de toute rancœur. La parole authentique du pardon. Faut-il rappeler que ce n’est pas par hasard si en début et en fin de meeting ce 17 août 2013, c’est le morceau « natural mystic » de Bob Marley qui rythmait les pas de Guillaume Soro en marche vers le cœur sensible des siens ?

Le pardon n’est pas une faiblesse, mais le don de soi pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui. Le pardon est un don à part, car il renouvelle l’humanité collective par ses grâces. Le « natural mystic » du pardon déclamé par Guillaume Soro à Gagnoa est la mise en œuvre de l’Amour du prochain comme force de désensorcellement des officines de la haine et du mensonge. Pardonner et se pardonner, c’est affirmer haut et fort une foi puissante en la survie de la Côte d’Ivoire, « terre d’espérance, pays de l’hospitalité ». La nécessité du pardon, aura su montrer le Chef du Parlement Ivoirien, ne découle pas de l’incapacité des Ivoiriens de guerroyer les uns contre les autres, mais plutôt de la conscience que la reconnaissance mutuelle dans la lutte à mort ayant déjà eu lieu de 2002 à 2007, il est temps de passer au seuil qualitatif suivant : la construction d’une nation juste et prospère pour tous. Ceux qui rêvent donc encore de bouter hors de Côte d’Ivoire une partie des citoyens de ce pays, un peu comme Gbagbo excluant délibérément sept régions du pays du décompte du deuxième tour de la présidentielle 2010, ceux-là même doivent comprendre qu’ils ont pris du retard dans l’Histoire ivoirienne qui avance à pas de géant. La nécessité du pardon, a su montrer Guillaume Soro, s’enracine dans le sens des responsabilités de tous pour un avenir meilleur, pour une Côte d’Ivoire où des Ivoiriens ne seront plus condamnés à prendre les armes pour être reconnus comme Ivoiriens. Le désir de paix, exprimé par la demande de pardon de Guillaume Soro sur la Place Laurent Gbagbo de Gagnoa, ne signifiait pas non plus le reniement des raisons pour lesquelles il dut autrefois faire la guerre, mais du sentiment que le devoir de faire reconnaître tous les Ivoiriens par tous les Ivoiriens est largement accompli en 2013. L’élection démocratique, le développement durable, l’émergence égalitaire de tous les exclus de la nation, notamment des femmes, des jeunes, des apatrides et des Ivoiriens qui s’ignorent, n’ouvrent-ils pas une ère de paix pour tous les citoyens de bonne volonté ? Il fallait que de telles vérités sublimes se disent sur la place qui porte le nom du plus grand bonimenteur de l’Histoire politique ivoirienne, le fameux Boulanger d’Abidjan que le destin a aujourd’hui conduit à sa place idéale : la Cour Pénale Internationale de La Haye. Et ce n’est que justice.

 

 

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