San-Pedro et sa communauté libanaise : une poigne de fer dans un gant de velours sur l’économie et les travailleurs

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La Côte d’Ivoire est le pays africain qui compte le plus de ressortissants libanais avec un peu plus de 60 000 personnes. Cette communauté est implantée dans le pays depuis plus d’un siècle et est devenue une puissance économique presqu’incontournable. Autrefois cantonnés dans le petit commerce, les Libanais de Côte d’Ivoire sont désormais très actifs dans des secteurs cruciaux comme les transports, la finance ou les hydrocarbures. Aucun domaine économique ne leur échappe à ce jour. Ils sont présents dans tous les secteurs du commerce (électroménager, produits divers, cosmétiques, grandes surfaces, boulangerie, épicerie), achat et industrie du café cacao, secteur du bois, etc. Ils tiennent l’économie à près de 35 à 40 %, fournissant le même niveau d’emploi, voire plus, que la Fonction Publique ivoirienne. Cela s’expliquant par le fait que cette communauté a non seulement profité de la vague de privatisations d’entreprises d’État à la fin des années 90, mais aussi des départs en cascade de patrons français dans le sillage des émeutes de novembre 2006. Ainsi après 2006, les Libanais ont racheté les galeries Peyrissac, les magasins Bernabé et Technibat et d’autres grandes surfaces abandonnées par les occidentaux, notamment les français. 

San-Pedro, la cité libanaise ?

La communauté libanaise de San Pedro est forte de près de 650 personnes qui se retrouvent dans tous les domaines de l’activité économique de la seconde ville portuaire. Ces hommes et femmes vivent en Côte d’Ivoire depuis des décennies mais leur intégration demeure une énigme bien que le cordon ombilical de l’économie ivoirienne demeure entre leurs mains. Ils sont dans tous les secteurs d’activités économiques, chefs d’entreprises exerçant dans l’industrie du bois, du café-cacao, du plastique, de l’agroalimentaire, du textile, du bâtiment, de la médecine. C’est encore eux qui utilisent le plus d’employés de maison. Cependant, tout cela ne va pas sans grincements de dents des populations qu’ils emploient. La réalité se découvre sur le lieu de travail. Car l’endroit où employeurs et employés se côtoient, chaque jour, des heures durant. Lieu où toutes sortes d’humiliations et injures sont décriées par les employés. Tous, sont unanimes à dire que les salaires tombent plus ou moins régulièrement chaque mois, mais misérables, selon eux, pour le travail accompli.

Des travailleurs comme esclaves des temps modernes

Malgré leur renommée pour leur participation active à l’économie ivoirienne, des sociétés et non des moindres, des entreprises parfois plébiscitées pour leurs performances, demeurent des esclavagistes des temps modernes. Tant leurs pratiques à l’égard de leurs travailleurs est digne du 18ème siècle. Elles sont nombreuses, ces sociétés exerçant à San-Pedro et région. Suite à nos investigations, aucune d’elle ne semble échapper aux pratiques esclavagistes appliquées à leurs travailleurs. Faisant fi du devoir qu’a une entreprise de déclarer ses travailleurs à la CNPS, la plupart d’entre elles, utilisent des subterfuges pour se mettre hors la loi et gruger les pauvres travailleurs. Tandis que la législation du travail stipule clairement que le stage en entreprise dure 3 mois, une seule fois renouvelable et qu’au bout de 6 mois, le travailleur doit être embauché ou libéré, à quoi assiste-t-on ? A d’Interminables stages soldés par la non embauche et surtout sans déclaration du travailleur à la CNPS.

Le système du travail temporaire

C’est la pratique la plus déshonorante et la plus courante. La sous-traitance, cette pratique esclavagiste consiste à avoir recours à des sociétés agréées pour faire travailler des personnes dans un système de travail ‘’au noir’’. Ces sociétés de sous- traitance proposent des travailleurs qui pour la grande majorité, ne sont pas déclarés à la CNPS. Afin d’éviter la prescription des 6 mois qui est un piège pour elles et leurs partenaires, les sociétés de sous-traitance, après 5 mois de mise à disposition de travailleurs à des entreprises, les y retirent pour les affecter dans une autre entreprise. Les remplaçant par une nouvelle équipe tandis que l’ancienne équipe est elle aussi affectée à une autre société. Et le cycle infernal de la non-embauche se poursuit ainsi entre entreprises. « Je suis sondeur. J’ai travaillé à ce jour dans plusieurs entreprises de cacao de la place et je n’ai jamais été embauché. Que faire ? Il faut bien qu’on vive », nous confiait un travailleur qui a insisté pour garder l’anonymat, craignant pour sa place.

Conditions difficiles de travail

En quoi consiste l’activité quotidienne de ces travailleurs ‘’au noir’’ qui font tourner ces entreprises dont on tire une certaine fierté ? Toujours sous le sceau de l’anonymat, suivons ce autre témoignage  : « Nous travaillons entre 11 et 12 heures par jour, pendant 6 jours sur 7. Avec un jour de repos au choix du travailleur. Nous n’avons pas droit au congé. Nous sommes payés main à main, sans bulletin de salaire. Ce qui signifie que personne n’est déclaré à la CNPS. On nous fait travailler au noir, dans notre propre pays. Nous travaillons sous haute surveillance de plusieurs caméras. Même quand il n’y a pas de client, nous n’avons pas le droit de nous asseoir, il faut toujours se tenir débout, pendant tout le temps de travail ». Poursuivant, notre source appuie : « Les conditions de recrutement et de travail sont dignes d’esclavage des temps modernes. Les employés y sont utilisés pour des essais de trois (03) mois, renouvelables indéfiniment. Avec un salaire variant entre 60 et 100 OOO FCFA. La dizaine de travailleurs est repartie en deux groupes simultanés. Pendant que le 1er groupe travaille de 8 heures à 13 heures, pour reprendre à 15 heures et terminer à 21 heures. Simultanément, le second groupe qui commence aussi à 8 heures, descend à 15 heures, pour reprendre à 17 heures jusqu’à 21heures. Lorsqu’il y a arrivage de marchandises, tous les employés, hommes et femmes sont réquisitionnés pour le déchargement, cela parfois jusque tard dans la nuit sans aucune compensation ». S’agissant du salaire, il terminera sur cette triste note : « Les salaires qui sont payés entre le 7 et le 10 du mois, ne le sont pas toujours, intégralement. Les employeurs amènent les travailleurs à prendre des produits alimentaires sous forme d’avance sur salaire ». Pour dire que l’intégralité du salaire ne tombe souvent pas.

Une communauté qui se veut à part : anges ou des démons ?

Malgré sa participation active à la vie économique de la ville, cette communauté demeure repliée sur elle-même. Lorsque le gouvernement, à travers les ministères ou leurs envoyés, Travail, Affaires Sociales pour parler du monde du travail ou des Finances pour les emprunts obligataires, jamais, ils ne sont présents à ces rencontres. Ils sont toujours retranchés dans leur milieu comme si la vie de cette société ne les intéressait pas. Quant à leur jeunesse, elle fait pétarader des engins à quatre roues, indisposant tous les riverains par une nuisance sonore. Avec leurs grosses cylindrées aux vitres teintées malgré l’interdiction gouvernementale et le téléphone au volant, ils roulent à vive allure sur des voies où la logique exige un peu de prudence. Les populations de San-Pedro, dans leur diversité s’interrogent, s’ils sont des anges ou des démons pour le développement de leur cité ?

Khalil Ben Sory

Lementor.net

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