Le parti unifié du RHDP: promesses et difficultés

0
23

« Le bonheur qui habite aussi bien les chaumières que les palais prend sa source dans l’union des familles »

Maria Edgeworth, Les deux familles, 1814

Devant l’actualité ivoirienne, le recul de l’esprit critique s’impose. La pensée, déliée de toutes entraves doit exercer tout son magistère, afin de dégager pour l’opinion, des constantes objectives susceptibles de fonder une action politique juste et vraie. L’arbre qui veut durer doit enfoncer profondément ses racines dans le sol. Ou alors, c’est la première bourrasque de vent qui le renversera. Le RHDP en genèse devrait sérieusement méditer cette image. D’où pouvons-nous donc partir pour penser, face à l’annonce de la naissance du nouveau parti unifié au pouvoir, le RHDP? Un certain optimisme béat aurait voulu que nous nous contentions d’applaudir à tout rompre devant ce qui, de fait, est une annonce de taille sur la reconfiguration et la clarification du ju-jitsu politique ivoirien. Oui, en effet, le RHDP est la plus formidable machine politique dans la Côte d’Ivoire actuelle, comme les deux élections présidentielles remportées en 2010 et 2015 par son candidat en attestent éloquemment. Mais, toute la bonne volonté du monde ne saurait cacher la réalité des difficultés en vue au sein de la majorité politique actuelle. Il faut les affronter au plus tôt, sans faux-fuyant, si l’on ne veut pas que les petites causes fâcheuses d’aujourd’hui engendrent les grandes conséquences tragiques de demain. D’autant plus que la volonté politique forte, décidée de réaliser l’Union des Houphouétistes, sous l’égide du leadership Bédié-Ouattara-Soro, semble être confrontée aux réticences des appareils du PDCI-RDA,  du RDR, de l’UDPCI, de l’UPCI et du MFA, entre autres partis de l’alliance. Or, faut-il le rappeler? Pour être gouvernée dans la stabilité, la Côte d’Ivoire africaine a besoin d’un gouvernail solide à court et long terme. Un parti politique véritable n’existe que si se fondent en son sein, tous les courants politiques alliés lors de la conclusion de son pacte fondateur. Quand un parti politique s’annonce donc, tout en maintenant intactes chacune des entités qui le composent, il y a lieu pour l’intellectuel politique de se demander à quoi rime l’union ainsi proposée. Est-ce une union idéologique? Est-ce une union stratégique pour vaincre les partis  adversaires? Est-ce plutôt une union tactique entre ces partis en attendant de rivaliser à nouveau les uns contre les autres, sur la base de nouvelles alliances avec des forces politiques internes ou externes?  Nous essayons d’affronter ces questions dans les lignes qui suivent.

Quelle est l’idéologie du RHDP? Nous répondrons doublement à cette question: en principe et en fait.

En principe

D’un point de vue spirituel, le RHDP se revendique de l’oeuvre du président Félix Houphouët-Boigny, marquée par les valeurs cardinales de l’Union, de la Discipline, du Travail, de la Paix et du Progrès socioéconomique continu et partagé pour tous les habitants de la Côte d’Ivoire. Ces valeurs métaphysiques inspirent à leur tour la politique, l’économie, la société et la culture houphouétistes. Les partis alliés dans le RHDP ont en commun une idéologie politique: le libéralisme démocratique, économique et social. Le PDCI-RDA, le RDR, l’UDPCI, le MFA, l’UPCI, presque tous démembrements de l’ancien PDCI-RDA de Félix Houphouët-Boigny, considèrent que le pluralisme politique est désormais la matrice des libertés collectives ivoiriennes, au moins depuis 1990. Ils pensent en outre que l’Etat ne saurait s’accaparer de l’initiative et du contrôle de l’économie, mais doit demeurer arbitre, facilitateur et contrôleur des conditions de la production, de la distribution et de la consommation des biens économiques. On n’a donc pas affaire ici, à une alliance néolibérale, où le capitalisme serait radicalement conçu comme la panacée à tous les problèmes économiques, en vertu des pouvoirs extraordinaires attribués par les penseurs Adam Smith et Ricardo à la libre concurrence, à la propriété privée et à l’autorégulation de l’économie par la fameuse « main invisible du marché ». Enfin, les partis alliés du RHDP ont en principe en commun, une conception tolérante, ouverte, inclusive de la citoyenneté et de la société politiques ivoiriennes, tirée des vingt dernières années de la tragédie de l’ivoirité, véritable poison de la discrimination qui mit le feu à la poudrière identitaire dans ce pays, de la bataille successorale de 1993 à la crise postélectorale de 2010-2011.

En fait

Les choses sont un peu plus compliquées. Il n’est pas sûr en réalité que pour certains membres du RHDP, le nom d’Houphouët-Boigny soit autre chose qu’un mot de passe utile pour la prise et la conservation du pouvoir d’Etat. Dès lors que cette métaphysique houphouétiste fondamentale est récitée par certains du bout des lèvres, il s’ensuit que l’idéologie politique de l’alliance soit floue. L’exemple le plus évident concerne les deux principales formations politiques de l’alliance. Le RDR, par exemple, est dans l’Internationale Libérale, mais pas le PDCI-RDA, qui fut par exemple, lors de sa période native, apparenté au Parti Communiste Français, avant de s’en éloigner. Le positionnement idéologique de l’UDPCI, du MFA, de l’UPCI, est loin d’être lisible dans l’opinion, certains de ces partis affichant du reste l’essentiel de leurs prétentions politiques sur la base de leurs bastions socioculturels aisément isolables et identifiables sur le territoire national. Du coup, on peut en conclure que l’idéologie du RHDP est davantage à construire résolument pour l’avenir qu’à présenter clairement comme une réalité. Un second exemple suffit à l’illustrer: le positionnement des différents partis alliés du RHDP par rapport à l’idéologie de l’ivoirité. Comment ne pas constater que sur ce sujet, l’autocritique n’est pas allée très loin au PDCI-RDA, à l’UDPCI, au MFA et à l’UPCI?  Le RDR ne semble-t-il pas être le principal parti anti-ivoiritaire d’une alliance du RHDP qui perdrait tout sens si jamais l’ivoirité refaisait surface en son sein? Que dire du silence lourd et pesant, sur la question de l’ivoirité , de nombreux hauts cadres et intellectuels du PDCI-RDA qui y contribuèrent longtemps avec les haineux du FPI, et qui jouissent aujourd’hui de positions confortables au sein du RHDP?  Ces questions s’imposent au moindre examen objectif de la situation.

Conclusion partielle sur la question idéologique du RHDP: Le RHDP est un rassemblement de type libéral et social. Mais ce n’est pas au niveau de son étiquette doctrinaire générale que se pose son problème actuel. C’est dans l’économie ethnotribale sous-jacente à la politique ivoirienne actuelle qu’il faut aller chercher la vraie difficulté. En réalité, sans liquidation radicale de l’idéologie ivoiritaire, l’idéologie du RHDP demeurera dans la sphère superficielle des intérêts électoralistes et pourvoiristes de circonstances. 

Comment expliquer dès lors les atermoiements observés dans la construction actuelle du parti unifié?

La volonté politique claire du trio HKB-ADO-GKS est et a été depuis 2003 au moins, de construire un parti unique de la majorité. Dès le retour des Accords de Marcoussis, rappelons aux plus oublieux que c’est Guillaume Kigbafori Soro qui proposait la création d’un cadre permanent de concertation entre tous les alliés de l’opposition, afin d’aboutir dès que possible à un parti unifié qui garantirait force et stabilité à la république de Côte d’Ivoire. De telle sorte au fond que s’il ne fallait que s’en tenir aux approches du trio, le RHDP ne comprendrait plus en son sein aujourd’hui, des formations politiques qui continuent de revendiquer leur autonomie.  Justifiant devant ses camarades des Forces Nouvelles la nécessité de ne pas se constituer en parti politique, Guillaume Soro affirmait avant l’élection de 2010, l’impératif de l’Union Houphouétiste et le renoncement nécessaire à la querelle stérile des égos surdimensionnés. 

Mais la politique se fait avec les gens. Et les gens sont ce qu’ils sont. La patience requiert ici bien des contorsions. On est donc allé à l’Union par le haut et non à l’Union de bas en haut ou de haut en bas. Les atermoiements actuellement observés s’expliquent par plusieurs facteurs qu’il nous est aisé d’observer. Contentons-nous pour l’heure de creuser ces facteurs en analysant la posture des deux principaux partis de l’alliance du RHDP.

Pour le RDR

Le retour au PDCI-RDA  comme tel a été boudé par une partie de l’élite et de la base du RDR parce que la mémoire des blessures vives de l’ivoirité, infligée par le premier régime Bédié au RDR naissant a fait oeuvre de méfiance. La haine n’existe plus entre le RDR et le PDCI-RDA. 

Mais la confiance n’est pas non plus encore totale, en raison notamment du non-repentir de nombreux hauts cadres et intellectuels du PDCI-RDA qui se revendiquent encore plus ou moins ouvertement de l’idéologie ivoiritaire. 

L’élite du RDR a par ailleurs boudé la formule retour au « PDCI-RDA » parce qu’elle n’a pas au préalable assuré les apparatchiks du RDR de leur point d’atterrissage dans le PDCI-RDA ainsi survalorisé. Quid de sa présidence? De son secrétariat général? De ses cellules de base? Quid du poids politique actuel du RDR au sein de la population et de la majorité au pouvoir? De la répartition des investitures aux prochaines échéances législatives et municipales? 

Le RDR a sans doute refusé de se fondre dans son parti d’origine parce qu’il croit moins à l’houphouétisme de mémoire qu’à l’houphouétisme de projet. Et ainsi, les six mois de travail donnés par le président Bédié à l’intérimaire Amadou Soumahoro semblent parfaitement justifiés. Comme si après avoir mis la charrue avant les boeufs, on voulait enfin mettre les boeufs avant la charrue. 

Pour le PDCI-RDA

La revendication du retour des alliés du RHDP en son sein a clairement rappelé l’intention hégémonique contenue dans la clause d’alternance au profit du PDCI-RDA en 2020. On pouvait y voir un point positif. La prophétie d’Henri Konan Bédié lancée lors de l’Appel de Daoukro, celle de voir le candidat du PDCI-RDA être soutenu par tous en 2020, pouvait ainsi s’accomplir. 

Car si tous les partis, le RDR, le MFA, l’UDPCI, l’UPCI, etc, rentrent au PDCI-RDA, il va de soi que le candidat du PDCI-RDA soit celui de tous les anciens alliés du RHDP désormais fondus dans le PDCI-RDA. 

Le PDCI-RDA persiste comme le RDR à maintenir son entité séparée et fonctionnelle en tant que parti, parce que son amitié avec son principal allié n’est pas non plus un chèque en blanc à l’hégémonie du RDR.  

Qu’on ne se cache pas derrière son petit doigt ici: pour le PDCI-RDA, la clause de l’alternance 2020 a un sens exclusif, si tous les partis ne se fondent pas dans le PDCI-RDA comme tel. Pour de nombreux hauts-cadres du PDCI-RDA, il faut que ce soit un candidat du PDCI-RDA actuel qui soit soutenu par tout le RHDP à la prochaine présidentielle 2020, comme l’ensemble du RHDP a soutenu le candidat du RDR en 2010 et en 2015. Or, comme nous le savons tous, ce point de clause demeure à ce jour l’affirmation unilatérale du seul PDCI-RDA. Comment croire qu’il fera consensus d’ici six mois? 

Nos analyses nous conduisent donc à dégager trois grandes conclusions:

1° L’Union houphouétiste doit résolument liquider les présupposés persistants de l’ivoirité dans les esprits de plusieurs de ses cadres et militants, s’il veut se donner une assise spirituelle et éthique authentiquement houphouétiste.

2° L’Union houphouétiste doit résolument, pour garantir paix, stabilité et progrès partagé à la Côte d’Ivoire, abolir les partis en son sein et créer une grande formation politique cohérente sur tous les plans: spirituel, idéologique, organisationnel, communicationnel, national et international.

3° Le Trio HKB-ADO-GKS doit absolument monter avec équipes de terrain au créneau pour veiller à inscrire son désir de transcendance et d’Union au sein des équipes du PDCI-RDA, du RDR, de l’UDPCI, du MFA, de l’UPCI, etc. 

Pour le dire en un mot comme en mille: le véritable RHDP naîtra des cendres bien rangées des prétentions partisanes qui le tiraillent encore, au détriment de l’espérance ivoirienne et africaine, placée en la renaissance en marche d’une grande Côte d’Ivoire africaine.

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi

Professeur agrégé de philosophie

 

Auteur :

Source :

Commentaires facebook

Mettez votre commentaire

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here