Entre Abidjan et Bamako, les secrets d’une guerre de la paranoïa autour d’un deal à un milliard de dollars.

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Parmi les facteurs ayant poussé à la spectaculaire dégradation des relations entre Abidjan et Bamako, Africa Intelligence est en mesure de révéler l’existence d’un contrat minier à plus d’un milliard de dollars passé en octobre 2021 entre une société allemande et un groupe malien. Un dossier vertigineux dont l’intrigue se déroule entre Berlin, Rabat, Dubaï et Bamako, et dans
lequel apparaît en filigrane l’ombre des intérêts russes.

Cette énigme politico-financière se joue entre Berlin et Bamako via Dubaï. Des tonnes d’or et un milliard de dollars qui se retrouvent aujourd’hui au centre des
intrigues sur l’axe Côte d’Ivoire-Mali. L’affaire hante les très sensibles tractations en cours concernant le sort des 46 soldats ivoiriens détenus dans la capitale
malienne depuis leur arrestation le 10 juillet 2022.
Le mystère des 56,5 millions de dollars L’histoire, restée secrète, démarre neuf mois plus tôt. En octobre 2021, la junte malienne menée par le colonel Assimi Goïta surveille de près la finalisation d’un contrat en apparence classique si ce n’est son montant : un milliard de dollars. Cette somme, la petite société d’investissement allemande, RavenFinance, dit en
disposer pour investir dans la raffinerie d’or Kankou Moussa Refinery (KMR), établie sur l’aéroport international Modibo-Keïta.
Le 14 octobre 2021, RavenFinance émet un premier ordre de virement de 56,5 millions de dollars depuis son compte à la Deutsche Bank à destination de
KMR, client de la Banque internationale pour le Mali (BIM). L’opération interbancaire est déclenchée à 14h59, heure de Berlin, et les fonds transitent
virtuellement par New York, dans les systèmes informatiques de la Deutsche Bank Trust Company Americas puis de la Citibank.

Selon les données Swift, relatives aux transactions bancaires internationales, les 56,5 millions de dollars sont « transférés avec succès à la BIM » dès le vendredi
15 octobre au matin. Pourtant, l’établissement malien contrôlé par le groupe marocain Attijariwafa Bank assure dans des correspondances internes n’en avoir
aucune trace. Il en va de même à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui confirme tout ignorer d’une telle transaction et n’avoir donc
effectué aucune conversion en francs CFA.
Swift a mené des recherches qui concluent à une opération bien effectuée. Toutefois, ni la Deutsche Bank, ni la BCEAO, ni la BIM ne savent où ont atterri les
fonds. La junte malienne a tenté de les tracer pour les récupérer. En vain.

L’or et le milliard

L’émetteur de ce virement est un discret homme d’affaires allemand : Christoph Hermann Ravenstein. A 58 ans, il dirige Raven Group, un petit conglomérat
d’entreprises de production de composants pour l’industrie automobile et l’électroménager, de conseil juridique et même de production de bière artisanale.
Sans activité sur le continent africain ni dans le secteur minier, il gère une nébuleuse d’entreprises en Europe de l’Est et opère via son véhicule financier, RavenFinance, enregistré dans la bourgade de Schlüchtern, située entre Francfort et Fulda. C’est avec cette dernière société, au capital modeste de 25 000 euros, que
Ravenstein orchestre l’investissement d’un milliard de dollars dans la raffinerie d’or KMR.
Les deux entités sont liées par un accord de joint-venture signé le 26 août 2021. Il prévoit que 60 % du milliard de dollars d’investissement de RavenFinance soit utilisé dans la construction d’infrastructures dotées d’une technologie italienne qui doit permettre de capter l’or extrait de manière artisanale, notamment dans la
région de Kayes située dans l’ouest du pays. Les 40 % restants sont destinés à l’acquisition, sur une année, de plusieurs tonnes d’or de « 24 k » et d’une pureté de
999.9, par lingots de 1 à 12,5 kg, qui doivent être expédiés par le prestataire Ferrari.
Pour la junte malienne, c’est un deal crucial, le plus important contrat non étatique du moment. Il porte de surcroît sur une commodity stratégique : l’or,
dont le Mali est l’un des plus importants producteurs d’Afrique. Le précieux métal génère une manne considérable pour l’Etat malien.

L’ombre russe


Cette transaction record à dix chiffres n’intervient pas non plus dans un contexte tout à fait anodin. Dès le début du mois de septembre, alors qu’un report du
chronogramme électoral âprement négocié entre la junte malienne et la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) apparaît inéluctable, le
spectre de sanctions économiques plane plus que jamais sur Bamako. Une perspective qui inquiète tout particulièrement la junte qui s’est discrètement
lancée depuis l’été dans une recherche tous azimuts d’argent frais en vue de faire face à l’embargo de la CEDEAO. Anticipant un gel de ses avoirs logés au sein de la BCEAO, Bamako pense alors un vaste plan visant à renforcer son système bancaire privé composé de huit grands groupes parmi lesquels la BIM.

Surtout, outre les tensions grandissantes avec l’organisation ouest-africaine, un autre sujet sature également l’espace médiatique malien : celui du groupe
paramilitaire russe Wagner avec lequel Bamako finalise secrètement un accord inédit pour le déploiement de plus d’un millier d’hommes. Quelques semaines
avant le virement de 56,5 millions d’euros du 14 octobre par RavenFinance, Reuters a dévoilé les contours d’un contrat entre la junte malienne et la nébuleuse
russe. Parmi les sujets au cœur des discussions entre les deux parties figure l’exploitation de gisements aurifères maliens (AI du 09/11/22).
Pour monter son deal, l’investisseur allemand Ravenstein a discrètement noué le 1 septembre 2021, un « accord de partenariat d’investissement et de coopération financière » avec une société enregistrée dans la Silicon Oasis de Dubaï : Power World Finance. Coïncidence ou non, la société constituée seulement six mois plus tôt, est dirigée par un homme d’affaires russe : Vladislav Agronskii, 47 ans. Il est assisté de Sergey Obraztsov, de deux ans son aîné, qui se charge du montage pour l’opération malienne depuis un compte bancaire domicilié à la Abu Dhabi Islamic
Bank (ADIB). De Dubaï, hub mondial de l’or aux circuits de traçabilité sinueux, les deux hommes qui avancent masqués derrière World Power Finance sont les
destinataires finaux de l’or que KMR doit expédier.
Ni Ravenstein, ni Power World Finance n’ont donné suite aux sollicitations d’Africa intelligence. L’Italien Dario Littera, patron de KMR, n’a pas non plus souhaité s’exprimer. Après plus de cinq mois à tenter désespérément de retrouver la trace des 56,5 millions de dollars, il a quitté le Mali en février 2022. Sa raffinerie
de l’aéroport Modibo-Keita a été accaparée par l’un de ses contacts locaux, Cheick Oumar Keita, un homme d’affaires malien également fonctionnaire au Trésor
public. Lui aussi a vainement tenté de récupérer les 56,5 millions de dollars virés par RavenFinance.
Les soupçons d’Abidjan Quid des millions disparus ? Selon plusieurs sources concordantes, les fonds sont
très probablement restés dans le système d’Attijariwafa Bank sans avoir été transférés à la BIM. Le groupe bancaire marocain maintient jusqu’à présent le
silence sur un dossier considéré comme hautement sensible.

Dans les sphères du pouvoir militaire malien, certains responsables se perdent en conjectures et fantasmes. L’éventualité d’une intervention des services d’Etat
américains ou français, très actifs dans la surveillance des circuits financiers de Wagner, est étudiée. En parallèle, les cinq colonels maliens se sont mis sur la piste d’une possible action directe d’un Etat de la CEDEAO auprès d’Attijariwafa Bank
ou de la BCEAO. Principal suspect de Bamako : la Côte d’Ivoire, et son président Alassane Ouattara, allié de Washington et Paris, tenant d’une ligne dure face au
pouvoir malien. Si aucun élément tangible ne vient corroborer cette thèse, pour la junte plusieurs indices étayent un tel scénario, et tout particulièrement le poids
d’Abidjan au sein de la BCEAO.
En octobre 2021, l’organisation bancaire ouest-africaine est en effet dirigée par l’ancien ministre ivoirien, Tiémoko Meyliet Koné, un intime de Ouattara dont il
fut conseiller spécial à la présidence. Nommé vice-président de Côte d’Ivoire en avril dernier, il a été remplacé à la BCEAO par un autre ancien ministre ivoirien, Jean-Claude Brou. Ancien président de la Commission de la CEDEAO, ce dernier
a cristallisé les attaques de Bamako au sein de l’organisation régionale pour sa posture considérée comme inflexible face aux putschistes maliens.
Depuis plus d’un an, les faits et gestes de la BCEAO sont perçus à Bamako à travers le seul prisme d’une organisation sous influence d’Abidjan. Récemment, l’audit de huit banques privées maliennes diligentées par l’organisation régionale a encore renforcé les suspicions de la junte malienne à l’endroit de son voisin ivoirien. Des allégations dont se défend le pouvoir ivoirien.

Accord secret


L’arrestation des 49 militaires ivoiriens le 10 juillet à Bamako, neuf mois après l’évaporation des 56,5 millions dollars, est ainsi venue donner une seconde vie au dossier. Depuis, il hante les négociations en cours sur le sort des soldats. Il n’a toutefois jamais été évoqué frontalement par les deux parties. Il se glisse néanmoins dans les silences qui ponctuent les discussions et entre les lignes de l’accord
confidentiel transmis par Bamako fin octobre à Abidjan (AI du 02/11/22). Consulté par Africa Intelligence, le document de sept pages et de quatorze articles, intitulé
« Memorandum d’entente entre la République de Côte d’Ivoire et la République du Mali » donne le ton. Dès les premières lignes, il invite les deux Etats « à éviter toute
immixtion directe ou indirecte dans les affaires intérieures de l’autre ».
Quant à l’article 4, il stipule que « les deux parties s’interdisent tout appui politique, logistique, militaire et financier à toutes entités, personnes ou forces hostiles à l’une ou l’autre partie ». Un peu plus loin, l’article 12 insiste sur l’interdiction du « recours à des sanctions politiques, militaires, économiques et financières dans le cadre d’institutions régionales ». Un accord rejeté en bloc par Abidjan, qui n’a même pas souhaité effectuer le moindre amendement au texte.
A Bamako et Abidjan, la paranoïa des chefs
La paranoïa qui hante les colonels maliens contamine aussi la présidence ivoirienne. Depuis le début du mois de septembre, les services ivoiriens
s’intéressent en effet aux liens présumés entre la junte malienne et l’opposant ivoirien en exil, Guillaume Soro. Abidjan s’inquiète de voir l’ancien chef rebelle
des Forces Nouvelles qui avait appelé en novembre 2020 l’armée à « agir » face à Alassane Ouattara à se restructurer depuis le Mali voisin. C’est ainsi que les flux financiers internationaux transitant vers Bamako sont scrutés avec minutie par les agents de renseignement ivoiriens, appuyés par leurs partenaires occidentaux. L’implication directe de Soro dans l’arrestation des 49 militaires ivoiriens n’est
étayée par aucun élément probant. Abidjan reste convaincu qu’il tente néanmoins de profiter de la situation en activant ses réseaux au sein de l’appareil sécuritaire malien. Le président ivoirien s’en est ouvert à plusieurs de ses interlocuteurs ces dernières semaines. Selon nos informations, Guillaume Soro n’a toutefois jamais été en contact direct
avec Assimi Goïta. Il s’est en revanche rapproché du puissant patron de la Sécurité d’Etat (SE) malienne, Modibo Koné. Le gradé est l’un des piliers du groupe des cinq colonels au pouvoir qui continuent de se réunir quasi quotidiennement à 19h précises au camp militaire de Kati. Fort de cet entregent, Soro a récemment formulé une offre de médiation entre Abidjan et Bamako. Ouattara l’a froidement
déclinée. La proposition a renforcé la conviction d’Abidjan quant à la volonté de Soro de s’immiscer dans le dossier.Dans ce poker menteur, l’affaire des 56,5 millions de dollars évaporés continue d’alimenter les crispations. Premier signe d’une éventuelle accalmie, les deux

pouvoirs se parlent désormais en toute discrétion à travers leurs ministres de la défense, Téné Birahima Ouattara, et le colonel Sadio Camara. Un nouveau canal
pour négocier sans intermédiaire afin de tenter de résoudre l’une des plus graves crises de l’histoire entre les deux pays.

Auteur :

Source : Lementor.net

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