Par Jean Pierre Assa
Ce samedi 31 mai 2025, Yopougon, fief politique emblématique d’Abidjan, a renoué avec sa réputation de bastion de contestation. La place Ficgayo, devenue pour l’occasion le théâtre d’une démonstration de force de l’opposition ivoirienne réunie au sein de la Coalition pour l’Alternance Pacifique (CAP-CI), a accueilli plusieurs milliers de militants et sympathisants. L’événement, hautement politique, dépasse la simple mobilisation populaire : il constitue un signal stratégique à l’endroit du pouvoir en place, à quelques mois d’un scrutin présidentiel aux enjeux cruciaux.
Derrière les banderoles et les slogans se cache un front politique qui se structure. Le CAP-CI, encore en phase d’affirmation, rassemble des partis et mouvements aux idéologies parfois divergentes mais unis autour d’une plateforme minimale : réforme électorale, équité institutionnelle, et inclusion des figures majeures exclues de la compétition. Le nom de Simone Gbagbo, qui a porté haut la voix de cette coalition, est un symbole fort, tant pour son poids historique que pour sa capacité à rassembler des segments de la population encore nostalgiques d’un certain ordre politique.
Les revendications ne sont pas nouvelles, mais leur réitération dans un contexte de crispation électorale leur donne une portée nouvelle. L’appel à une Commission Électorale Indépendante « véritablement neutre », à une liste électorale révisée de manière transparente, et à la réintégration politique de Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Charles Blé Goudé et Tidjane Thiam, n’est pas simplement une posture contestataire. Il s’agit d’une stratégie visant à repositionner ces figures dans le paysage électoral, mais aussi à forcer le pouvoir à dévoiler sa ligne rouge en matière de dialogue national.
Ce meeting est aussi une mise à l’épreuve de la capacité de l’opposition à s’unifier sans se diluer. Car derrière l’unité affichée, les ambitions présidentielles non déclarées, les luttes d’influence internes et les suspicions mutuelles demeurent. La réussite logistique et l’ampleur médiatique de l’événement peuvent renforcer le capital politique du CAP-CI, mais seulement si cette dynamique se traduit dans les urnes. Or, c’est là que le bât blesse : en l’absence d’un leadership unique, d’un projet commun clair et d’une stratégie électorale réaliste, le risque est grand de voir cette coalition fragmentée dès les premiers arbitrages internes.
Du côté du pouvoir, le silence observé depuis le meeting peut être lu de deux manières. Soit comme un signe d’assurance, dans une logique de stabilité institutionnelle où l’on laisse l’opposition s’exprimer sans réagir. Soit comme un moment de calcul stratégique, laissant le temps à la majorité présidentielle d’évaluer la menace réelle que constitue ce front commun. En coulisses, certains signaux laissent entendre que la présidence pourrait enclencher une séquence d’ouverture, à condition qu’elle n’érode pas son socle électoral ni ne compromette ses équilibres internes.
Plus largement, ce rassemblement de Yopougon intervient dans un contexte de fortes tensions régionales, où les transitions militaires, les débats sur la souveraineté des États et la contestation des modèles démocratiques importés brouillent les lignes idéologiques traditionnelles. En ce sens, le CAP-CI cherche aussi à inscrire la Côte d’Ivoire dans un mouvement de réappropriation démocratique, en mobilisant les catégories populaires, la jeunesse désabusée et les exclus du processus politique.
Ce samedi 31 mai, la voix de l’opposition a retenti avec puissance dans les rues de Yopougon. Mais entre l’écho de la foule et l’accès au pouvoir, il reste un long chemin politique, semé de négociations, de compromis, et de stratégies électorales fines. Le pouvoir, lui, est désormais face à une équation délicate : ouvrir sans fragiliser, écouter sans céder, dialoguer sans perdre la main. La présidentielle de 2025 s’annonce comme un moment de vérité pour la démocratie ivoirienne. Et la place Ficgayo en aura été, peut-être, le premier chapitre.
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