Par Dohotani Yeo
Autrefois importateur de produits transformés, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui la deuxième puissance mondiale de transformation de noix de cajou. En vingt ans à peine, le pays s’est réinventé, passant du statut d’exportateur brut à celui d’acteur industriel majeur. Une mue silencieuse mais spectaculaire, symbole d’une Afrique qui choisit enfin de transformer localement ses richesses.
Dans la zone industrielle de Yopougon, à Abidjan, l’usine de Clagri-Cajou bourdonne. Des ouvriers y manipulent des tonnes de noix, dans une chorégraphie de machines qui trient, décortiquent, cuisent et conditionnent. En 2024, plus de 1800 tonnes par jour y sont traitées. Ce qui n’était en 2018 qu’un vieux hangar rempli d’équipements d’occasion venus d’Asie est devenu une vitrine de la souveraineté industrielle ivoirienne.
Une politique volontariste, des résultats visibles
Tout a basculé à partir de 2019, lorsque l’État ivoirien a lancé une série de réformes décisives : suppression de certaines taxes à l’export, subventions ciblées, fiscalité incitative pour les usines locales. L’effet a été immédiat. En moins de cinq ans, la part des noix transformées localement est passée de 6 % à plus de 20 %, avec pour ambition d’atteindre les 50 % d’ici 2027.
Les investissements dans l’agro-industrie se sont multipliés. Plus de 30 usines de transformation ont ouvert leurs portes, accompagnant l’explosion de la demande mondiale. Le cajou, produit longtemps marginalisé, est devenu une priorité stratégique. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire devance le Brésil et talonne l’Inde, longtemps hégémonique dans le secteur.
Une locomotive régionale
Cette dynamique n’est pas sans effet sur l’économie globale. Entre 2011 et 2024, le PIB ivoirien a presque doublé, passant de 44 milliards à plus de 78 milliards de dollars. Ce bond n’est pas dû uniquement aux matières premières brutes, mais à la montée en puissance de l’industrie locale, désormais moteur d’emplois, d’innovation et de stabilité.
Dans le Nord du pays, la ville de Boundiali devient un pôle de transformation, attirant les jeunes diplômés en quête d’une autre vie que l’exode vers Abidjan. À Korhogo ou à Ferké, des coopératives voient le jour et dynamisent les économies locales. L’industrie du cajou devient aussi un vecteur d’aménagement du territoire.
Une revanche sur l’Histoire
Il y a une forme de revanche économique et symbolique dans cette montée en puissance. Le continent africain, longtemps relégué au rôle d’exportateur de matières brutes, démontre ici qu’il peut maîtriser ses chaînes de valeur, créer des emplois durables et offrir une alternative crédible à l’importation asiatique. La pandémie de COVID-19, en perturbant les chaînes logistiques mondiales, a été un catalyseur de cette bascule.
Aujourd’hui, la noix de cajou ivoirienne est nettoyée, décortiquée, conditionnée et exportée directement vers les grandes chaînes de supermarché d’Europe ou d’Amérique, sans transiter par le Vietnam ou l’Inde. Une révolution silencieuse mais profonde.
Le pari industriel est lancé
Au-delà du cajou, cette dynamique sert de matrice pour d’autres filières : le coton, le karité, le cacao. Le pays mise aussi sur le développement d’une industrie d’emballage, de logistique et de formation technique, pour soutenir durablement sa stratégie.
Le message est clair : l’Afrique n’a pas vocation à rester l’atelier du monde, elle peut devenir le cœur de la transformation mondiale. La Côte d’Ivoire l’a compris, et elle trace la voie. Lentement mais sûrement, l’agro-industrie est en train de redessiner l’avenir économique du pays.
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