Par la redaction | Lementr.net
Dire “Mossi” à une personne en Côte d’Ivoire, dans un contexte péjoratif, n’a rien d’anodin. C’est une insulte, lourde d’un passé historique, d’un imaginaire discriminatoire et d’une violence réelle qui a marqué des milliers de vies. Ce mot, qui désigne à l’origine un peuple courageux et travailleur venu du royaume mossi – aujourd’hui au Burkina Faso – a été, au fil des décennies, vidé de son sens noble pour devenir, dans la bouche de certains, une arme verbale destinée à rabaisser, à exclure et à justifier l’injustifiable.
Les Mossis ne sont pas venus en Côte d’Ivoire par caprice. L’histoire, les systèmes économiques imposés par la colonisation, et la recherche de terres cultivables les y ont conduits, souvent contraints par les nécessités du temps. Dès leur installation, ils ont travaillé durement, dans les champs, dans les chantiers, dans les maisons des élites ivoiriennes. Beaucoup d’anciens dirigeants et notables avaient des employés mossis, respectés pour leur endurance et leur probité. Mais ce respect, ancré dans la réalité du labeur quotidien, a été balayé par des mentalités rétrogrades qui, dans les années 1990, ont transformé ce mot en marqueur d’infériorité.
D’abord dans l’esprit, ensuite dans la parole, et enfin dans l’action, la déshumanisation a pris racine. Les Mossis ont été désignés comme des “sous-hommes”, puis comme des “assaillants”, et pour finir comme des “microbes à exterminer”. Cette dérive n’est pas restée dans les mots : elle s’est traduite en violences physiques. Entre 2000 et 2011, au plus fort de la crise politico-ethnique, ils ont été la communauté étrangère la plus durement frappée. Des villages entiers ont été vidés. Des familles ont été traquées. Des hommes ont été battus à mort. Des maisons ont été incendiées. Combien sont-ils, ceux qui ont été brûlés vifs dans la folie furieuse des foules galvanisées par la haine ? Des centaines, des milliers ? L’histoire récente, documentée par les organisations de défense des droits humains, a enregistré ces drames, mais la mémoire collective, elle, reste sélective.
Il y a eu des régions entières de Côte d’Ivoire où un Mossi ne pouvait pas imaginer s’installer, sous peine de voir sa vie menacée. La chasse aux Mossis, orchestrée sous prétexte de “défendre” une identité nationale dévoyée, a englouti tout le pays dans un jeu de sang. Et pour alimenter cette mécanique, il suffisait d’un mot, d’une accusation lancée : “C’est un Mossi.” Cela suffisait pour déchaîner la violence.
Aujourd’hui encore, pour certains Ivoiriens ignorants de leur propre histoire, “Mossi” est une insulte, une grosse injure. Les cas d’abus verbaux se comptent par dizaines : insultes dans les marchés, humiliations dans les transports publics, brimades dans les écoles, agressions dans les quartiers. Parfois, ces mots sont le prélude à des coups, à des destructions, à l’expulsion pure et simple d’un individu ou d’une famille.
Le procureur a raison : il faut arrêter d’être hypocrites. Dire “Mossi” en Côte d’Ivoire, c’est, dans la plupart des cas, insulter un semblable, nier son humanité, et se croire supérieur en se réfugiant derrière une appartenance ethnique ou régionale. Ce n’est pas un simple mot : c’est un vecteur de haine, une gifle identitaire qui, dans notre histoire récente, a souvent été le premier pas vers la violence physique.
Soutenir le procureur dans cette position, c’est choisir la lucidité. C’est admettre que la paix sociale ne se bâtit pas sur des insultes héritées du colonialisme, ni sur des réflexes d’exclusion. C’est comprendre que chaque fois que ce mot est prononcé avec mépris, il réactive un passé sanglant que nous prétendons vouloir oublier.
La Côte d’Ivoire ne peut pas tourner la page si elle ne regarde pas en face les mots qui tuent. “Mossi” en est un. Et il est temps de le dire haut et fort.
Leave a comment