Par La Rédaction | Lementor.net
À chaque élection, la scène se répète : l’opinion s’emballe, les réseaux s’enflamment, et chacun se croit juge du droit. Mais juger une candidature avant que les institutions ne se prononcent, c’est confondre passion politique et décision juridique. C’est aussi fragiliser la démocratie elle-même, qui repose sur la séparation claire entre le débat d’idées et l’autorité des procédures.
À peine le Conseil constitutionnel a rendu publique la liste provisoire des soixante candidats à la présidentielle du 25 octobre 2025 que déjà, dans les cafés, les états-majors et sur les réseaux sociaux, fusent les verdicts improvisés. On convoque la jurisprudence de 2020 comme une sentence définitive, on brandit des opinions personnelles comme des arrêts de justice, et l’on proclame que tel ou tel candidat ne saurait être retenu. Cette cacophonie, séduisante pour ceux qui veulent aller plus vite que le temps des institutions, est pourtant dangereuse : elle brouille la frontière essentielle entre l’opinion, toujours légitime, et la décision juridique, seule contraignante.
Car la démocratie repose sur une distinction fondamentale : chacun peut juger politiquement de l’opportunité d’une candidature, la trouver indigne ou au contraire salutaire, mais nul en dehors des institutions compétentes n’a la légitimité de décider de sa validité légale. Confondre ces deux plans, c’est ouvrir la porte à une désinstitutionnalisation du débat public où la rumeur et la passion prennent le pas sur la règle et la procédure. Or, sans la rigueur des procédures, la démocratie se dissout dans l’arbitraire des impressions.
L’histoire politique récente l’illustre avec éclat. Au Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva fut déclaré inéligible et emprisonné en 2018, la majorité des commentateurs l’ayant déjà condamné à l’oubli. Trois ans plus tard, la Cour suprême annulait ses condamnations, et en 2022, il redevenait président. Au Kenya, en 2017, Raila Odinga vit sa défaite confirmée par certains observateurs avant que la Cour suprême n’annule l’élection présidentielle, rappelant au monde que seule la justice peut arbitrer le droit. En Côte d’Ivoire, en 2020, Laurent Gbagbo, malgré son acquittement par la CPI, se vit refuser sa candidature par les institutions nationales, en raison d’une condamnation intérieure. Trois trajectoires différentes, mais un même enseignement : ni les foules, ni les analystes, ni les leaders d’opinion ne tranchent le droit. Ce pouvoir n’appartient qu’aux organes investis par la Constitution.
Il est vrai que certains invoquent aujourd’hui la jurisprudence de 2020 pour affirmer que ce qui fut décidé alors s’imposerait mécaniquement en 2025. Mais la loi n’est pas une mécanique froide ni une relique figée. Elle s’interprète, elle évolue, elle s’applique à des contextes particuliers et à des dossiers singuliers. Le Conseil constitutionnel, en accordant trois jours aux avocats des candidats pour apporter des preuves et de nouveaux argumentaires, rappelle justement que le droit est vivant et que chaque cas doit être jugé pour lui-même. Ce qui était vrai hier peut être nuancé demain, et c’est précisément ce mouvement qui garantit la justice de la procédure.
Face à cette impatience collective, l’État a un rôle décisif à jouer. Il doit restaurer la solennité des délibérations, protéger les institutions du vacarme partisan et rappeler que les mauvaises habitudes héritées des années 1990 – quand les décisions électorales se jouaient davantage dans la rue que dans les prétoires – ne sauraient perdurer. Depuis les turbulences de l’ère Bédié, du général Guéï ou de Laurent Gbagbo, les pratiques d’ingérence politique dans les procédures ont laissé des cicatrices profondes dans la confiance publique. C’est précisément pour tourner la page de ces errements qu’il est nécessaire de consacrer aujourd’hui le respect scrupuleux des procédures et des institutions.
La vraie question n’est donc pas de savoir si tel ou tel candidat est « valide » selon les convictions personnelles des uns ou des autres, mais si la société est capable d’attendre et d’accepter le verdict des organes compétents. Car peut-on parler en même temps que la justice ? On peut discuter politiquement, on peut critiquer moralement, mais le droit, lui, n’a qu’une seule voix : celle des institutions qui en sont dépositaires. Tout autre prétention est une usurpation de rôle et un risque pour la stabilité nationale.
En définitive, ce qui est en jeu dépasse le sort de quelques candidatures. C’est le pacte démocratique lui-même qui se trouve testé : celui qui suppose que chacun accepte de soumettre ses passions au jugement impartial du droit, et que l’autorité de la loi prime sur le tumulte des opinions. Le respect de cette temporalité et de cette hiérarchie est le signe d’une démocratie adulte, consciente que sa survie dépend moins des cris du moment que de la solidité des règles partagées.
Et il faut le rappeler sans relâche : l’État de droit, ce n’est pas la dictature des opinions, mais le règne des procédures.
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