Par Bakary Cissé | Lementor.net
À l’approche de la présidentielle d’octobre 2025, le débat ivoirien semble monopolisé par un phénomène médiatique désormais familier : le « Ouattara bashing ». Depuis l’annonce par Alassane Ouattara, 83 ans, de sa candidature à un nouveau mandat, les critiques se multiplient, alimentées par des manifestations du Front Commun et amplifiées par des campagnes virulentes sur les réseaux sociaux. Les observateurs internationaux évoquent un « pari risqué » pour la stabilité politique, tandis que des voix internes dénoncent l’exclusion de rivaux comme Tidjane Thiam. Mais cette focalisation à sens unique occulte une réalité plus vaste et plus cruciale : dans un environnement ouest-africain marqué par la brutalité des juntes militaires et les effondrements institutionnels, la Côte d’Ivoire apparaît comme un îlot de paix et un refuge humanitaire.
Alors que les projecteurs s’acharnent sur Abidjan, la complaisance internationale vis-à-vis des dictatures sahéliennes et guinéennes interroge. Du Mali au Niger, en passant par le Burkina Faso et la Guinée, les régimes militaires imposent leur loi à coups de répression, d’arrestations arbitraires et de disparitions forcées. Human Rights Watch documente des massacres de civils au Burkina Faso, tandis qu’Amnesty International dénonce la systématisation des violences contre opposants et activistes à Bamako, Niamey ou Conakry. Ces crimes graves, parfois liés à la présence opaque de partenaires militaires russes, semblent bénéficier d’une indulgence étrange, en contraste avec l’examen minutieux réservé à la Côte d’Ivoire.
Or, depuis la stabilisation post-crise de 2011, la Côte d’Ivoire a assumé un rôle méconnu mais essentiel : celui de terre d’accueil. Le pays héberge des dizaines de milliers de réfugiés fuyant les guerres et les coups d’État voisins. Plus de 80 000 Burkinabés se sont installés depuis 2021, échappant aux exactions des groupes djihadistes et des milices d’autodéfense. En 2024 et 2025, près de 10 000 Ghanéens ont trouvé refuge après les flambées de violence ethnique à Bawku. Selon le HCR, plus de 126 000 réfugiés et demandeurs d’asile étaient recensés à mi-2024, tandis que la Côte d’Ivoire reste le principal pôle migratoire de la région, avec près de 2,5 millions d’étrangers vivant sur son sol.
Cette hospitalité, héritée d’une longue tradition ivoirienne, n’est pas sans coûts. Les ressources sont sous pression, les tensions identitaires refont parfois surface, notamment dans le nord frontalier exposé aux incursions. Pourtant, l’État investit dans des infrastructures d’accueil et bénéficie du soutien international pour assurer l’intégration. Dans une région fracturée, ce choix n’est pas anodin : il consacre Abidjan comme un acteur de stabilisation et non de déstabilisation.
À cela s’ajoute une trajectoire économique enviée. Première puissance cacaoyère mondiale, la Côte d’Ivoire affiche une croissance soutenue autour de 6,5 % selon la Banque mondiale, avec une projection du FMI à 6,3 % en 2025. Les réformes engagées depuis 2011 ont transformé la structure économique, tout en préservant une attractivité pour les investisseurs, contrastant avec le Sénégal voisin plongé dans une crise de dette qui mine ses perspectives.
Sur le plan géopolitique, l’argument d’une Côte d’Ivoire inféodée à Paris ne résiste pas à l’épreuve des faits. Le départ des troupes françaises en janvier 2025 illustre au contraire une volonté de repositionnement souverain, loin des caricatures relayées par les discours anti-ivoiriens de l’AES. Dans une Afrique de l’Ouest traversée par le chaos, Abidjan s’affirme comme un pilier diplomatique et militaire.
En définitive, réduire la Côte d’Ivoire au prisme d’un « Ouattara bashing » médiatisé revient à occulter sa fonction vitale dans l’équilibre régional. Les critiques sont légitimes dans une démocratie, mais elles ne doivent pas servir de rideau de fumée masquant les dérives criminelles des juntes voisines. La Côte d’Ivoire, malgré ses imperfections et ses débats internes, reste aujourd’hui un refuge, une économie robuste et un acteur stabilisateur. L’ignorer serait non seulement injuste, mais dangereux pour l’avenir de l’Afrique de l’Ouest.
Leave a comment