Par La Rédaction
Depuis leur rupture avec la CEDEAO et la création de l’Alliance des États du Sahel (AES), les juntes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger n’ont eu de cesse de brandir l’idée d’une souveraineté monétaire retrouvée. À travers un discours teinté de panafricanisme et de rejet du franc CFA, l’idée d’une monnaie propre à la zone AES est devenue un symbole politique. Pourtant, au-delà de l’effet d’annonce, les réalités économiques, sociales et humaines de ces trois pays dressent le portrait d’un projet largement utopique, qui risque d’aggraver davantage une situation déjà critique.
Le premier obstacle est structurel : aucune monnaie viable ne peut émerger dans une région coupée des mécanismes classiques d’intégration économique. En se retirant de la CEDEAO, les pays de l’AES ont renoncé aux cadres institutionnels, réglementaires et logistiques qui soutenaient – même imparfaitement – les bases d’un marché commun ou d’une union monétaire. Lancer une devise commune sans convergence macroéconomique, sans stabilité politique, et sans union douanière fonctionnelle revient à bâtir une maison sur du sable mouvant. Il n’existe aucun précédent historique où trois pays en crise politique et sécuritaire ont réussi à mettre en place une monnaie unique fonctionnelle, crédible et durable.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le Mali, selon les données de la Banque mondiale, a connu une contraction de son PIB réel de -1,9 % en 2023. Le Burkina Faso enregistre un taux de croissance parmi les plus faibles de la sous-région, à peine +1,5 %, tandis que le Niger, après le coup d’État de 2023, a vu son économie plonger avec une croissance estimée à seulement +0,6 % en 2024, contre +11,1 % l’année précédente avant l’arrêt de plusieurs projets d’investissements internationaux. L’inflation explose, le franc CFA se déprécie sur les marchés parallèles, et les populations, surtout dans les zones rurales, sont confrontées à une dégradation sans précédent de leur pouvoir d’achat.
La chute de la qualité de vie est désormais perceptible dans tous les indicateurs sociaux : recul de la scolarisation, hausse de l’insécurité alimentaire, effondrement des services de santé publique. À Bamako, Ouagadougou comme à Niamey, la pénurie de médicaments, les coupures d’électricité chroniques et la flambée des prix des denrées de base alimentent un ressentiment croissant que les propagandes officielles ne parviennent plus à masquer.
Les coups d’État, loin d’avoir été des actes de libération, se révèlent être les meilleurs alliés du sous-développement. Ils ont isolé ces pays des partenaires économiques majeurs, freiné les investissements, et contribué à l’effondrement des institutions démocratiques. Les trois juntes ne forment pas une alternative, mais un verrou autoritaire sur l’avenir de leurs peuples. Le discours sur la monnaie de l’AES, plutôt qu’un projet économique structuré, ressemble de plus en plus à une diversion populiste, destinée à dissimuler l’impasse dans laquelle s’enfonce la zone.
En définitive, les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont non seulement confisqué la souveraineté des peuples, mais aussi braqué la liberté de circulation des biens, des capitaux et des personnes. Les frontières se ferment, les diasporas s’inquiètent, et les flux commerciaux s’assèchent. Dans ces conditions, toute tentative de créer une monnaie sans adossement régional solide, sans réserves de change, sans confiance des marchés, et sans liberté politique ne peut conduire qu’à une impasse.
La monnaie de l’AES, si elle voit le jour, risque fort d’être une coquille vide : un outil sans valeur réelle dans un espace économique fracturé. Pire encore, elle pourrait devenir le symbole d’un isolement voulu par des régimes obsédés par leur survie politique, mais incapables d’offrir un avenir économique et humain digne à leurs citoyens.
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