Par Dohtani Yeo
Un nouveau front s’ouvre dans le bras de fer entre le pouvoir et l’opposition en Côte d’Ivoire. Depuis le début du mois de mai 2025, plusieurs cadres de l’opposition ont vu leurs immunités parlementaires ou administratives levées dans le cadre d’enquêtes judiciaires portant sur des dossiers anciens de financement illicite. Si les autorités affirment respecter les procédures légales, les partis politiques concernés et leurs soutiens crient à la « chasse aux sorcières » et dénoncent une instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
Parmi les figures visées, figurent deux anciens ministres membres du Front Populaire Ivoirien (FPI) tendance Affi N’Guessan, un député influent du COJEP, ainsi qu’un maire indépendant allié à la Coalition pour l’Alternance Pacifique (CAP). Tous sont soupçonnés d’avoir, à des périodes diverses, perçu ou dissimulé des financements non déclarés, notamment en lien avec des campagnes électorales passées et des partenariats opaques avec des entreprises nationales et étrangères.
La levée des immunités a été actée sur décision du Bureau de l’Assemblée nationale et validée par décret présidentiel pour les responsables administratifs. Selon une source judiciaire proche du parquet d’Abidjan, « il ne s’agit pas d’une manœuvre politique, mais d’un signal fort de lutte contre l’impunité et la corruption ». L’enquête, toujours en cours, aurait été relancée à la suite d’un audit de la Cour des Comptes et d’informations transmises par la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF).
Face à cette offensive judiciaire, l’opposition se mobilise. Plusieurs leaders, dont Charles Blé Goudé, Pascal Affi N’Guessan et Danielle Kassi, ont exigé la désignation d’un juge indépendant et la présence d’observateurs internationaux pour garantir la transparence de la procédure. « Il ne peut y avoir d’élections libres si des candidats sont éliminés de manière administrative ou judiciaire », a déclaré Affi N’Guessan lors d’une conférence de presse à Yopougon.
Dans les rangs de la société civile, les réactions sont partagées. Si certains saluent l’action de la justice comme un signe de maturité institutionnelle, d’autres redoutent une reprise des tensions politiques à quelques mois du scrutin présidentiel. L’ONG Indigo Côte d’Ivoire appelle à la retenue et à la préservation du climat de dialogue : « La lutte contre la corruption ne doit pas être sélective, au risque de compromettre la paix sociale. »
Sur les réseaux sociaux, le sujet fait rage. Hashtags, tribunes et messages de soutien aux personnalités visées circulent, nourrissant une polarisation déjà exacerbée dans l’opinion publique. Des manifestations ont été annoncées dans plusieurs villes, notamment à Daloa et Man, pour protester contre ce que les opposants appellent « une tentative de musèlement démocratique ».
À ce stade, aucune mise en examen n’a été officiellement prononcée, mais des convocations auraient été adressées à plusieurs concernés pour des auditions prévues dans la deuxième quinzaine de mai. Dans un contexte politique électrisé, chaque geste, chaque déclaration est scruté. Le traitement de ces affaires pourrait fortement influencer la campagne à venir et peser sur la crédibilité des institutions.
Alors que la CEI s’apprête à publier la liste électorale définitive, la question centrale demeure : comment garantir un scrutin équitable, dans un climat où la défiance gagne du terrain et où la justice est perçue, à tort ou à raison, comme un outil politique ?
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