Par Bakary Cissé | Lementor.net
Le 7 août 2025, à l’occasion du 65ᵉ anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, Abidjan a offert une démonstration militaire qui dépasse le simple cadre protocolaire. Avec 4 000 soldats défilant sur le boulevard, et la participation remarquée de contingents américains, français et marocains, le pays a affiché sa volonté de devenir un pilier de la stabilité en Afrique de l’Ouest. Cette parade, riche en symboles et en puissance visuelle, marque un tournant stratégique : la Côte d’Ivoire entend se doter d’une armée moderne, crédible et capable de répondre aux menaces sécuritaires qui se rapprochent de ses frontières.
Les équipements présentés témoignent d’un effort de modernisation sans précédent, fondé sur la diversification des partenariats militaires. Blindés sud-africains Puma M36 MRAP Springbuck SD, véhicules chinois APC WZ-551 et EQ2050, engins turcs Otokar URAL et Cobra II : ce cocktail technologique illustre une stratégie pragmatique, mêlant souveraineté et ouverture. Ces acquisitions répondent à un double impératif. D’abord, renforcer la dissuasion face aux groupes jihadistes dont l’expansion, depuis le Sahel, menace désormais les pays côtiers. Ensuite, affirmer une autonomie stratégique dans un contexte marqué par le retrait progressif des forces françaises, symbolisé par la rétrocession en janvier 2025 du camp du 43ᵉ BIMA.
Cette montée en puissance n’est pas une posture, mais une nécessité. Les attaques enregistrées près des frontières nord, combinées à l’afflux de plus de 110 000 réfugiés depuis 2024, rappellent que la menace est tangible. Les récentes percées des groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique vers le Ghana, le Togo ou le Bénin confirment que la Côte d’Ivoire ne peut compter sur une protection naturelle de sa façade maritime. Dans un environnement régional secoué par les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) a redessiné la carte politique, creusant un fossé diplomatique avec la CEDEAO et compliquant la coordination sécuritaire.
Face à cette donne, Abidjan joue une carte subtile. La coopération se poursuit avec les alliés traditionnels comme les États-Unis, la France et le Maroc, mais le pays investit dans sa propre capacité de défense pour réduire toute dépendance excessive. Car si la menace jihadiste exige une réponse collective, la réalité politique rend cette unité illusoire à court terme. La modernisation de l’armée devient alors un instrument de souveraineté, mais aussi un outil diplomatique pour asseoir un rôle de leader régional dans la lutte contre le terrorisme.
Derrière la stratégie militaire se cache un enjeu économique majeur. Première puissance de l’UEMOA, la Côte d’Ivoire a bâti son attractivité sur une stabilité relative, qui reste fragile. Les investisseurs, séduits par la croissance et la solidité des infrastructures, n’ignorent pas que l’insécurité régionale pourrait rapidement compromettre ces acquis. À quelques mois d’une élection présidentielle sensible, le président Alassane Ouattara fait le pari qu’une force armée robuste constitue la condition sine qua non de la croissance et de la préservation des intérêts nationaux.
La Côte d’Ivoire envoie ainsi un message clair : celui d’un État conscient que la paix ne se négocie pas seulement dans les chancelleries, mais aussi sur le terrain, par la maîtrise de ses frontières et la préparation de ses forces. Reste à savoir si cette montée en puissance militaire, combinée à une vision politique inclusive, permettra de transformer cette ambition en réalité durable. Ce qui est certain, c’est qu’à l’aube d’une période où l’Afrique de l’Ouest est traversée par des secousses politiques et sécuritaires, la Côte d’Ivoire choisit d’écrire son destin avec ses propres moyens, refusant de se limiter au rôle de spectateur dans le théâtre régional.
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