Par Dohtani Yeo
Bouaké, le 5 juin 2025 – Ce qui devait être une simple opération de contrôle s’est transformée en cauchemar derrière les murs de la maison d’arrêt de Bouaké. Cinq détenus ont perdu la vie et vingt-neuf personnes ont été blessées, dont des membres du personnel pénitentiaire, lors d’un affrontement d’une rare intensité survenue dans la nuit du 4 au 5 juin. Une enquête administrative et judiciaire a été ouverte, mais le choc est profond dans l’opinion.
Une opération sous haute tension
Selon les premières informations recueillies auprès de sources sécuritaires, l’opération visait à extraire des armes artisanales, des stupéfiants, des téléphones portables et d’autres objets illicites introduits clandestinement dans l’établissement. La fouille, initiée par la direction centrale de l’administration pénitentiaire en coordination avec les forces de sécurité, aurait rencontré une résistance violente de plusieurs détenus, certains déjà identifiés comme appartenant à des réseaux criminels organisés à l’intérieur même de la prison.
Les forces de l’ordre ont riposté avec des moyens jugés « proportionnés », mais les affrontements se sont propagés à plusieurs ailes du bâtiment, selon des témoins internes. Des grenades artisanales, des tessons de bouteilles et des barres de fer ont été utilisés lors des échauffourées.
Un drame révélateur des failles du système carcéral
Au-delà du bilan humain, ce drame relance avec acuité le débat sur les conditions de détention dans les prisons ivoiriennes. La maison d’arrêt de Bouaké, conçue pour accueillir environ 400 détenus, en hébergeait plus de 1 000 au moment des faits. Une surpopulation chronique, aggravée par l’insuffisance de personnel, le manque d’accès aux soins, l’absence de suivi psychologique et la prolifération des micro-chefferies internes.
Plusieurs ONG, dont la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO) et Amnesty International, dénoncent régulièrement l’état délabré des infrastructures pénitentiaires en Côte d’Ivoire et l’absence de réelle politique de réinsertion. « Ce qui s’est passé à Bouaké est le résultat d’années de négligence institutionnelle », estime un militant des droits humains.
Une réforme annoncée mais attendue
Face à la pression médiatique et politique, le ministre de la Justice a promis une réforme structurelle du système carcéral, incluant la modernisation des établissements, le recrutement de nouveaux agents formés à la gestion non violente des conflits, et le renforcement des programmes de réinsertion. Mais les syndicats de la pénitentiaire restent sceptiques, dénonçant un manque chronique de moyens et l’accumulation de promesses non tenues depuis plus d’une décennie.
La prison de Bouaké n’est pas un cas isolé. D’autres établissements, notamment à Abidjan, Daloa et Korhogo, font l’objet de rapports alarmants sur les conditions de vie des détenus. Le drame du 5 juin pourrait bien devenir un point de bascule : soit le gouvernement enclenche une réforme courageuse et durable, soit ces violences risquent de se reproduire.
La justice face à elle-même
L’enquête ouverte par le parquet de Bouaké devra établir les responsabilités : usage disproportionné de la force, défaillance dans la planification de l’opération, ou failles sécuritaires internes ? Les familles des victimes, quant à elles, réclament vérité et justice. Et l’opinion nationale attend désormais plus qu’un communiqué : un changement réel dans la gestion des prisons, devenu un angle mort de la gouvernance publique.
Leave a comment