Par Adama Ouédraogo Damiss
Ils n’avaient ni l’expérience, ni la légitimité. Mais ils ont pris le pouvoir. Et aujourd’hui, ils gouvernent sans partage, dans un silence assourdissant. Depuis le 30 septembre 2022, le Burkina Faso vit sous la férule de jeunes capitaines, sortis des rangs de l’armée pour prendre en main la gestion de l’État. Beaucoup se demandent : comment en est-on arrivé là ? Pourquoi et comment des officiers aussi jeunes ont pu s’imposer, s’ériger en chefs suprêmes, et réduire au silence toute contradiction ? La réponse est aussi simple qu’accablante : ils ont trouvé un pays abandonné par ses élites.
Ils n’ont pas renversé un ordre solide, ils ont remplacé un vide. Car si ces jeunes capitaines gouvernent aujourd’hui selon leur bon vouloir, c’est parce que ceux qui devaient incarner l’ordre, l’autorité, la continuité républicaine ont failli. Les officiers supérieurs ont déserté leur rôle. Les hommes politiques ont abdiqué.
Quand les aînés ont trahi
Tout a commencé en 2015. Ce fut la première fissure. Le coup d’État attribué au général Gilbert Diendéré a propulsé au devant de la scène de jeunes officiers. Portés aux nues comme sauveurs de la démocratie, ils ont été célébrés, adulés, installés au cœur de la décision. Le pouvoir civil du Président Roch Marc Christian Kaboré les a promus sans frein, les a utilisés sans retenue. Des ordres leur étaient donnés sans filtre, contournant la hiérarchie militaire, piétinant le protocole, ridiculisant les officiers supérieurs et généraux. Et que firent ces derniers ? Rien. Pas de protestation. Pas de démission. Pas même un soupçon de sursaut d’orgueil.
Puis est venu le procès du putsch. Et là, le pays a découvert avec effarement ce qu’était devenu son armée : une institution rongée par le renoncement, trahie de l’intérieur. Ce ne sont pas des chefs que la justice a vus défiler à la barre, mais des hommes sans colonne vertébrale, se réfugiant dans la confusion, le mensonge, ou la délation. Des officiers supérieurs qui avaient, en privé, félicité Diendéré pour sa prise de pouvoir, mais qui, face aux juges, n’ont eu ni courage ni dignité. À part quelques rares exceptions, tels que le général Honoré Nabéré Traoré, le Colonel-major de Gendarmerie Mamadou Traoré, l’intendant Colonel-major Ibdoudo Poko et le Colonel-major Sanou Sini Pierre qui ont parlé avec assurance, dignité et courage devant le Tribunal en leur qualité de témoins, beaucoup d’officiers ont fui, capitulé, exposé au grand jour la vacuité morale du commandement militaire.
Et ce fut pire encore lors du procès de l’assassinat de Thomas Sankara. L’Histoire, dans sa cruauté, révéla les visages d’hommes qui avaient insulté Sankara, célébré Blaise Compaoré, profité de son régime, puis retourné leur veste à la première occasion. Tout cela sous les yeux d’une jeune génération d’officiers qui observait, notait, comprenait.
Ce fut leur révélation. Le respect qu’ils avaient pour leurs aînés s’est effondré. Le mythe de la grandeur militaire s’est effrité. L’autorité, qui devrait se mériter par l’exemplarité, n’était plus qu’un mot creux. Ils ont vu des chefs sans courage, des hommes sans honneur. Ils ont vu une armée sans âme.
Le naufrage politique
Du côté des civils, ce n’était guère mieux. La classe politique s’est montrée égale à elle-même : versatile et déloyale. Elle a préféré le silence à la résistance, le confort au combat, la prudence à l’engagement. Et les jeunes capitaines ont compris, là aussi, qu’ils n’avaient en face d’eux que des hommes d’ambition, pas de conviction.
La classe politique, incapable de tenir une ligne, a trahi tous ses chefs, trahi tous ses combats. Sans fidélité, sans honneur, sans boussole.
Face à ce double effondrement militaire et politique, les jeunes officiers ont compris une chose essentielle : le pouvoir est vacant. Il ne restait qu’à le prendre.
Le règne par la peur
Ibrahim Traoré l’a très vite compris. À défaut de légitimité, il a choisi la crainte. À défaut de consensus, il a choisi la verticalité. Il a détruit l’armée et ses cadres valeureux. Il a imposé le silence. Il a instauré la peur.
Il gouverne par la brutalité stratégique. Il réprime. Il étouffe. Le commandement, désormais, ne repose plus sur l’estime. Il repose sur la crainte. Et cette crainte est devenue l’ultime colonne du pouvoir.
Une génération sans repères, dans un pays sans résistance
Ces jeunes capitaines n’ont pas trouvé face à eux des hommes debout. Ils ont trouvé un champ de ruines. Un commandement militaire rongé par l’hypocrisie. Une élite politique incapable de se battre pour une idée. Une société civile désorientée, tiraillée entre peur et résignation.
Ils n’ont pas arraché le pouvoir. On le leur a laissé.
Et aujourd’hui, le Burkina Faso est pris en otage par une génération de militaires qui ne croit plus à la hiérarchie, qui ne croit plus à la politique, et qui pense que seule la force permet de survivre dans le chaos. Cette situation n’est pas née d’un coup d’État. Elle est née d’un vide. Un vide de courage. Un vide d’engagement. Un vide d’honneur.
Voilà pourquoi les jeunes capitaines gouvernent à leur guise. Non pas parce qu’ils sont puissants. Mais parce que ceux qui devaient arrêter leur folie ont fui leurs responsabilités.
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