Par La Rédaction
Le secteur du cacao, pilier de l’économie ivoirienne, traverse une zone de turbulence inédite. À l’approche de l’entrée en vigueur des nouvelles normes anti-déforestation imposées par l’Union européenne, les coopératives locales expriment une vive inquiétude. Officiellement reportée à décembre 2025, l’application stricte de ces règles pourrait bouleverser l’ensemble de la chaîne de production et d’exportation, mettant particulièrement en péril les petits producteurs.
La réglementation européenne exige désormais que tout cacao importé dans l’espace communautaire soit traçable jusqu’à la parcelle d’origine, avec des preuves concrètes que sa production n’a pas contribué à la déforestation. En théorie, cette ambition environnementale répond à une exigence mondiale : produire mieux, sans sacrifier les forêts tropicales. En pratique, elle représente un casse-tête logistique et financier pour les producteurs ivoiriens. Selon les premières estimations, se conformer à ces nouvelles exigences coûterait environ 200 francs CFA par kilogramme, une charge intenable pour des coopératives qui fonctionnent déjà avec des marges étroites.
Face à cette pression, le gouvernement ivoirien a mis en place un système numérique de traçabilité. Cette plateforme, qui doit couvrir près de 900 000 planteurs sur tout le territoire, ambitionne de cartographier les zones de production, d’identifier chaque exploitant, et de centraliser les données liées à la durabilité. Toutefois, les retards dans le déploiement, les problèmes d’accès à internet dans certaines zones rurales, et l’absence de formation des producteurs constituent des freins majeurs. Certains acteurs du secteur dénoncent même une fracture croissante entre les grandes multinationales, bien équipées et prêtes à s’adapter, et les structures locales qui peinent à suivre.
Ce déséquilibre pourrait avoir des conséquences dramatiques : concentration du marché entre les mains de quelques géants, exclusion progressive des coopératives locales, perte d’emplois massifs dans les zones rurales. À cela s’ajoute la crainte d’une baisse des volumes exportés, avec un impact direct sur les recettes d’exportation, qui dépendent à plus de 40 % du cacao.
Des voix s’élèvent pour demander un moratoire, un accompagnement technique plus soutenu de la part de l’Union européenne, ou encore une aide financière internationale pour assurer une transition équitable. Car au-delà de la conformité, c’est toute la question de la justice économique et environnementale qui se pose : peut-on demander aux pays producteurs, souvent en développement, de supporter seuls le coût de la durabilité ?
En Côte d’Ivoire, la filière cacao emploie directement ou indirectement plus de cinq millions de personnes. À l’aube de cette transformation imposée par les marchés occidentaux, elle se trouve à la croisée des chemins. Sans mesures d’accompagnement fortes, le cacao durable risque de devenir un luxe réservé aux plus puissants.
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