Par CB|Lementor.net
À quelques heures de la célébration du 65e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, la scène politique ivoirienne est en pleine ébullition. Une conversation inattendue entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, une tentative de relance du dialogue national par Charles Blé Goudé, des tensions internes au sein du PDCI autour de Tidjane Thiam, et des convocations judiciaires visant plusieurs cadres du PPA-CI, composent une toile de fond mouvante et stratégique où chaque geste compte, chaque silence est pesé, et chaque absence est interprétée.
Le geste du président Ouattara de téléphoner à Laurent Gbagbo fin juillet, après plus d’un an et demi de silence entre les deux hommes, a été interprété par certains comme une ouverture politique, par d’autres comme un simple geste symbolique en période préélectorale. Jeune Afrique a révélé ce scoop, précisant que le président avait invité son prédécesseur à participer à la cérémonie du 7 août à Bouaké, dans le cadre de la fête tournante de l’indépendance. Invitation poliment déclinée par Gbagbo, selon ses proches, pour des raisons liées à des « préalables non remplis ». Une position défendue notamment par Fabrice Lago, dit Steve Beko, cadre du PPA-CI et proche du vice-président Stéphane Kipré, qui estime qu’il ne s’agissait pas d’un dialogue relancé mais d’un simple échange de façade. Il souligne que l’image d’un Gbagbo paradant au défilé, sans résolution préalable des griefs du parti, serait politiquement contre-productive. Une nouvelle fois, les célébrations de l’indépendance se tiendront sans la présence conjointe des quatre figures historiques que sont Ouattara, Gbagbo, Bédié (aujourd’hui disparu) et Simone Gbagbo. Une constante depuis les années 90, malgré l’évidence historique que la fête de l’indépendance devrait transcender les clivages politiques.
Pendant que le pouvoir cherche à montrer une posture d’ouverture, une autre dynamique de dialogue est portée par Charles Blé Goudé à travers la Coalition pour l’Alternance Pacifique (CAP-CI), qui a rencontré le RHDP ce 5 août pour proposer un cadre de réformes électorales. Huit propositions concrètes ont été avancées, dont la recomposition de la CEI, la révision du découpage électoral et une loi d’amnistie. L’initiative se veut préventive, tournée vers la stabilité institutionnelle et la transparence électorale. Elle n’a pas encore trouvé d’écho fort chez les principaux opposants, mais elle traduit une volonté de construire un espace d’écoute sans attendre qu’une crise éclate.
Au sein du PDCI, l’heure n’est ni au dialogue ni à la sérénité. Loin d’Abidjan, Tidjane Thiam continue son bras de fer judiciaire pour faire annuler sa radiation de la liste électorale. Son pourvoi en cassation a été examiné ce 5 août, avant d’être renvoyé au 2 septembre pour les observations des parties. Mais selon plusieurs analystes, cette démarche relève davantage d’un baroud d’honneur que d’une réelle possibilité juridique. La décision de la juridiction présidentielle étant réputée définitive et insusceptible d’appel, la Cour de cassation pourrait bien se déclarer incompétente. Cette impasse judiciaire coïncide avec des tensions internes au sein du parti, opposant Thiam à certaines figures locales, comme Emmou Sylvestre, sur la stratégie à adopter face à un régime perçu comme verrouillant l’espace électoral. La crise de leadership qui couvait au sein du plus vieux parti ivoirien devient chaque jour plus visible, au point de fragiliser l’alternative que le PDCI représente dans cette élection.
Pendant ce temps, les services de sécurité ivoiriens poursuivent leur enquête sur les violences survenues à Yopougon. Plusieurs cadres du PPA-CI, dont Damana Pickass, Koua Justin, Blaise Lasme et Dahi Nestor, ont été convoqués. Le pouvoir parle de restaurer l’autorité de l’État, mais l’opposition y voit une opération d’intimidation politique. Entre gesticulations judiciaires et accusations croisées, la tension monte à mesure que l’échéance électorale approche.
Ainsi se dessine le tableau politique de cette Côte d’Ivoire d’août 2025. Un pays en paix apparente, mais sous haute tension. Une démocratie pluraliste en surface, mais encore traversée de fragilités institutionnelles et de méfiances profondes. Et toujours, en filigrane, le poids des non-dits, des rancœurs d’hier et des rendez-vous manqués entre les grandes figures de l’histoire récente. Le 7 août se déroulera donc à Bouaké sans miracle politique. Peut-être avec grandeur, mais sans réconciliation réelle. Reste à savoir si la suite de la campagne électorale permettra d’en écrire autrement le scénario.
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