Par Dohotani Yeo
Alors que la Côte d’Ivoire s’apprête à entrer dans la période décisive des élections présidentielles, un autre front, plus silencieux mais tout aussi stratégique, se dessine à l’horizon : celui de la survie des petites entreprises du cacao face aux exigences environnementales de l’Union européenne. À partir de décembre 2025, les exportateurs de cacao devront prouver que leurs produits ne sont liés à aucune forme de déforestation. Une mesure adoptée au nom de la lutte contre le changement climatique, mais dont l’impact pourrait être dévastateur pour les PME ivoiriennes du secteur.
De petites coopératives et entreprises locales tirent la sonnette d’alarme. Le coût estimé pour se conformer à ces règles, soit environ 200 FCFA par kilo de cacao, représente un fardeau disproportionné pour des structures qui peinent déjà à couvrir leurs charges de fonctionnement. Pour une PME transformant 500 tonnes par an, cela équivaut à plus de 100 millions de francs CFA de frais supplémentaires. Un gouffre qui pourrait en entraîner plus d’une vers la faillite.
Ce qui se joue ici dépasse le simple cadre réglementaire. Il s’agit d’une bataille économique où les multinationales disposent d’une avance considérable. Dotées de systèmes technologiques avancés, d’équipes de conformité et de budgets quasi illimités, ces firmes occidentales sont en mesure de répondre sans difficulté aux exigences européennes. Les PME ivoiriennes, quant à elles, manquent d’infrastructures, de formation et de capital pour engager une telle transition dans les délais impartis. Il en résulte une concurrence faussée, un déséquilibre profond, et un sentiment d’injustice croissant.
Le gouvernement tente de répondre par la mise en place d’un système numérique d’identification des producteurs et de paiements mobiles, destiné à accompagner environ 900 000 planteurs. Une initiative louable, mais encore insuffisante pour éviter la marginalisation des petites structures. La situation appelle des mesures plus audacieuses : création d’un fonds d’appui pour les PME, subventions ciblées pour les outils de traçabilité, et dialogue politique ferme avec l’Union européenne pour exiger une application progressive et adaptée des nouvelles normes.
Il ne s’agit pas de contester la nécessité d’un commerce plus durable, ni de minimiser les enjeux environnementaux. Mais imposer des normes uniformes à des réalités économiques si différentes, c’est nier les spécificités du tissu productif ivoirien. C’est oublier que ce sont les petites entreprises qui garantissent la transformation locale, la redistribution équitable des revenus et le maintien de centaines de milliers d’emplois en zone rurale.
La Côte d’Ivoire ne peut pas se contenter de subir. Elle doit défendre avec vigueur ses intérêts économiques tout en s’inscrivant dans la dynamique écologique mondiale. Protéger les PME du cacao, c’est défendre la souveraineté économique du pays. C’est aussi affirmer que la transition verte ne peut réussir sans justice sociale et sans respect des équilibres locaux. L’environnement ne doit pas devenir une barrière déguisée contre les économies émergentes.
À travers cet enjeu, c’est la capacité du pays à maîtriser sa filière la plus emblématique qui est en jeu. Et avec elle, le destin de milliers de familles. Il est temps d’agir.
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