Par Dohotani Yeo
Ce vendredi 30 mai au soir, une rumeur d’un genre particulièrement explosif a brièvement secoué les réseaux sociaux ivoiriens : un coup d’État aurait été en cours à Abidjan. Relayées massivement sur WhatsApp, Facebook et TikTok, des vidéos montrant des incendies, des cris de panique et des mouvements de foule ont rapidement semé le doute parmi une population déjà sensible à la question sécuritaire. En quelques heures, les termes « junte », « prise de pouvoir » et « attaque militaire » sont devenus viraux, alimentés par des commentaires alarmistes, parfois émis depuis l’étranger.
La réalité, pourtant, était bien différente. Les vidéos en question dataient de février 2025, lorsqu’un violent incendie avait ravagé un centre commercial de la capitale économique. Aucune opération militaire, aucun mouvement de troupes, aucun signe tangible d’un basculement institutionnel. Le gouvernement a réagi rapidement, diffusant des images du Conseil des ministres présidé dans le calme par le chef de l’État, Alassane Ouattara, afin de mettre fin à la spéculation. Ce geste a permis de ramener une certaine sérénité, mais le mal, lui, était déjà fait : le doute avait circulé à grande vitesse, et la confiance, même temporairement, avait vacillé.
Ce nouvel épisode soulève plusieurs interrogations de fond. D’abord, sur la vulnérabilité du débat public face à la manipulation numérique. Dans un pays où l’oralité reste une voie majeure de circulation de l’information, et où l’accès à une vérification rapide est inégal, les réseaux sociaux sont devenus à la fois un outil d’expression et un vecteur de confusion. La rapidité de diffusion des contenus, la difficulté à en tracer la source, et la force émotionnelle des images créent un environnement propice à la désinformation. Et ce, d’autant plus que la rumeur politique, dans l’imaginaire collectif ivoirien, reste fortement marquée par les précédents des années 1999 et 2002.
Ensuite, cet incident intervient dans un contexte sensible. À cinq mois de l’élection présidentielle, où l’opinion est en éveil, les institutions en mobilisation, et les ambitions en consolidation, chaque événement est perçu comme un signal possible d’instabilité. Ce n’est pas un hasard si cette fausse alerte a suscité autant de réactions : elle s’inscrit dans un climat où la mémoire des crises passées n’est jamais tout à fait endormie, et où les enjeux du pouvoir se jouent aussi dans l’espace numérique.
Face à cela, la réponse institutionnelle ne peut plus se limiter au démenti ponctuel. Le gouvernement a d’ores et déjà annoncé son intention de renforcer les mécanismes de veille numérique et de poursuites judiciaires contre les auteurs de contenus mensongers. Mais cette dimension répressive, bien que nécessaire, doit être complétée par un véritable effort d’éducation à l’information. La lutte contre la désinformation passe aussi par la formation des citoyens à l’esprit critique, à la vérification des sources, à la compréhension des codes de l’image et des réseaux.
Plus largement, cet épisode invite à repenser la place de l’information dans le débat démocratique. La Côte d’Ivoire, comme beaucoup d’autres pays africains, vit une transition numérique rapide, qui bouleverse les rapports au savoir, à l’autorité et à la parole publique. Cette transition n’est ni bonne ni mauvaise en soi ; elle exige simplement des garde-fous, des outils d’analyse partagés, et une vigilance collective.
En définitive, la fausse alerte de coup d’État du 30 mai n’aura duré que quelques heures. Mais elle rappelle, avec une clarté troublante, que dans une société connectée, il ne faut parfois qu’une séquence vidéo sortie de son contexte pour semer le doute, provoquer l’émotion et ébranler la stabilité. Dans les mois à venir, la guerre de l’image pourrait bien s’intensifier. La responsabilité des citoyens, des médias et des autorités sera alors déterminante pour que la vérité continue de circuler plus vite que la rumeur.
Leave a comment