Le nom n’a pas de pays…..

Il advient, dans le grand jeu des âmes et des rêves, que l’écho d’un nom traverse les frontières et se perde dans les méandres de l’identité. Il est des noms qui, par leur sonorité ou leur histoire, tracent des lignes invisibles, détournent le regard, et envoûtent l’imaginaire collectif. Mais, comme l’âme humaine, un nom n’appartient à personne en particulier. Le nom n’a pas de pays.

Il est d’une ironie cruelle que ce fil tissé depuis des générations, porté sur le dos comme une identité héritée, se trouve parfois être un boulet aux pieds de ceux qui le portent. En Côte d’Ivoire, combien de jeunes gens, d’hommes et de femmes, ont vu leur nationalité remise en question à cause d’un patronyme qui, dans l’inconscient collectif, résonne comme un écho d’un ailleurs, d’une origine étrangère ? Combien ont dû se battre, se défendre, démontrer leur appartenance à cette terre qu’ils foulent depuis leur naissance, à cause d’un nom qui n’est en rien le reflet de leur citoyenneté ? Ce fardeau des noms qui trahissent, ce destin injuste qui fait que certains se voient disqualifiés d’une nation qui pourtant leur appartient de droit, est une malédiction moderne.

Il me souvient d’une anecdote de l’année 2016, en ces lieux chauds et vibrants de Dakar, où l’on s’échangeait des regards curieux, sous les palmiers et les étoiles du grand ciel sénégalais. Un Sénégalais, dans sa conviction affirmée, me demanda : « Tidjane Thiam ? Mais c’est un Sénèque, non ? » La question flottait dans l’air, comme une brume d’incertitude, prête à se dissiper. Je lui répondis d’un ton serein que non, Tidjane Thiam est bel et bien Ivoirien, un enfant du pays, un citoyen de cette belle Côte d’Ivoire. Alors, dans la chaleur du moment, je me permis d’évoquer un proverbe du pays des Sérères, un dicton ouolof : Le nom n’a pas de pays. Il se tut, semblant ne plus avoir de réponse à offrir, et son silence en dit long. Un homme, bien que certain de sa vérité, se retrouva ébranlé par cette sagesse ancestrale qui dénonce, avec humilité et éclat, cette errance des certitudes.

Oui, il est grand temps que nous, Ivoiriens, comprenions pleinement que la nationalité est un lien de droit, une vérité légale, et non une affaire de tribus, de villages ou de noms de famille. Car, comme disait Cicéron dans son De Officiis, « La nation n’est pas fondée sur la lignée, mais sur le droit, l’appartenance légitime ». Nous, Ivoiriens, devons réécrire les règles de notre vivre-ensemble, affranchis des liens réducteurs du nom, et percevoir la citoyenneté pour ce qu’elle est : un droit inaliénable, non une répartition tribale de pouvoirs ou de présences.

Ainsi, que le nom ne soit pas un fardeau, mais un reflet de l’histoire. Car si le nom n’a pas de pays, c’est que c’est le cœur, l’âme et l’engagement envers notre nation qui font de nous les enfants légitimes de cette terre, plus que tout ce qui pourrait être gravé sur une plaque de fer.

Il est grand temps que chacun de nous prenne la pleine mesure de cette vérité.