Par Adama Ouédraogo Damiss | Lementor.net
Le Burkina Faso traverse une crise qui dépasse la simple conjoncture politique : c’est une crise morale et citoyenne.
Le drame profond de notre pays ne réside pas uniquement dans l’instabilité politique, ni même dans la violence qui endeuille nos villages et nos familles. Il se trouve, plus subtilement, dans notre incapacité à nous battre pour des valeurs et des principes. Ici, bien trop souvent, l’engagement n’est pas nourri par la recherche du juste, mais par la loyauté à des amis, des compagnons et camarades de lutte, ou encore des partenaires d’intérêts. Nous nous battons pour des amis, des compagnons idéologiques, ou des cercles d’intérêts.
Quand l’injustice frappe quelqu’un, au lieu de la condamner, nous nous en réjouissons, convaincus que cela nous épargne. Jusqu’au jour où, implacablement, le même sort s’abat sur nous. Alors seulement nous découvrons, trop tard, que notre silence ou notre complicité ont contribué à légitimer l’arbitraire.
Nous découvrons ainsi la fragilité de nos certitudes et l’inhumanité de notre indifférence. Comme l’écrivait Albert Camus : » Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. «
Aujourd’hui, je constate avec amertume que des personnes qui m’insultaient hier au nom de Me Guy Hervé Kam, me reprochent désormais de le défendre.
Des visages insoupçonnés, que je croyais acquis à l’idée de justice, se révèlent ulcérés par mes écrits de solidarité.
Je les comprends.
Pour ma part, je n’ai jamais considéré Me Kam comme un ennemi. Nous avons certes eu des divergences publiques, parfois vives. Mais la différence d’opinion n’a jamais fait de nous des adversaires mortels. Elle est, au contraire, l’essence même d’une démocratie vivante. Nous sommes des citoyens d’un même pays, et c’est précisément parce que nous étions en désaccord que nous devons défendre ses droits, comme je défendrais ceux de tout autre.
Cette situation révèle le visage triste de notre société : nous sommes prisonniers de nos rancunes, incapables de comprendre que la justice n’a pas de camp.
Laisser triompher la logique de la vengeance, c’est condamner notre nation à un cycle sans fin d’humiliations et de règlements de comptes. « La vengeance appelle la vengeance », disait Montesquieu, et elle finit toujours par consumer ceux qui la nourrissent.
Me Kam doit être libéré, comme tous les autres détenus arbitrairement. Non par complaisance, mais parce que ses droits fondamentaux doivent être respectés. Car si je me réjouissais aujourd’hui de son sort, qui me dit que demain je ne connaîtrais pas le même, et que lui, libre, ne devrait pas alors prendre ma défense ? L’histoire est riche de ces retournements où les vainqueurs d’un jour deviennent les vaincus du lendemain.
Il appartient à chacun de nous de refuser la spirale de la vengeance. Car, comme le rappelait Nietzsche, « celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. » Si nous nous habituons à nous réjouir du malheur d’autrui, nous détruisons peu à peu l’idée même de fraternité nationale.
C’est dans la divergence d’opinions, assumée et respectée, que se construit une nation digne et solide. Tant que nous nous contenterons de défendre nos intérêts particuliers au lieu de nous battre pour la vérité, la justice et la liberté, le Burkina Faso demeurera prisonnier de ses drames récurrents.
Ce que le régime du capitaine Ibrahim Traoré inflige aujourd’hui à tant de nos concitoyens n’est que le fruit amer de nos silences complices, de nos indifférences répétées et de nos compromissions collectives. Si nous ne savons pas protéger l’autre contre l’arbitraire, alors demain nul ne saura nous protéger nous-mêmes.
Le grand penseur Martin Niemöller, rescapé des camps nazis, résumait ainsi cette tragédie universelle :
« Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif. Puis ils sont venus me chercher. Et il ne restait plus personne pour protester. «
Voilà la leçon que nous devons méditer. Car un peuple qui se réjouit du malheur de l’autre, ou qui se tait face à l’injustice, devient lui-même l’artisan de son propre malheur.
Nous avons toléré l’injustice tant qu’elle ne nous concernait pas directement ; nous avons fermé les yeux sur l’arbitraire quand il frappait d’autres. Nous avons cru qu’en nous taisant, nous serions à l’abri. Mais l’injustice, lorsqu’elle n’est pas combattue, devient une machine incontrôlable qui finit toujours par atteindre chacun de nous.
Il est temps de dire stop. Le silence n’est plus une option. La lâcheté n’est plus une option. La neutralité face à l’injustice n’est pas de la sagesse : c’est de la complicité. Martin Luther King nous l’a appris : « Ce qui fait mal, ce n’est pas tant la cruauté des méchants que le silence des bons. «
Nous devons nous battre pour des principes, non pour des clans. Nous devons refuser la logique du « camp contre camp » qui détruit notre vivre-ensemble. Un peuple qui se réjouit du malheur de l’autre devient le complice de son propre malheur. Et tant que nous n’aurons pas choisi la justice, la liberté et la dignité comme seuls repères de notre engagement, le Burkina Faso restera prisonnier de ses drames.
J’ai plaidé.
Excellente journée.
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