ABIDJAN — L’élection du Mauritanien Sidi Ould Tah à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), ce 29 mai 2025 à Abidjan, n’est pas passée inaperçue sur la scène internationale. Si l’événement est avant tout africain, les regards de Washington, Bruxelles, Pékin et Tokyo étaient fixés sur cette élection. Et pour cause : la BAD, avec un capital partiellement détenu par les grandes puissances, est l’un des instruments clés de la compétition stratégique sur le continent.
Les États-Unis saluent un « choix d’expertise »
Le Département du Trésor américain, premier actionnaire non régional de la BAD, a salué le choix d’un « professionnel chevronné doté d’une connaissance approfondie des mécanismes de financement du développement ». Dans une déclaration prudente, Washington a rappelé « l’importance de la transparence, de la redevabilité, et du respect des standards internationaux », tout en renouvelant son engagement auprès de la BAD pour le financement des infrastructures durables.
Mais dans les coulisses, certains analystes voient dans la défaite de la Sud-Africaine Tshabalala un recul pour les préférences américaines, qui misaient sur une candidate rompue aux rouages internes de la BAD et proche des cercles institutionnels occidentaux.
L’Union européenne : une ouverture pour un nouvel agenda vert
À Bruxelles, la réaction est plus enthousiaste. La Commission européenne considère Sidi Ould Tah comme un acteur « sérieux, pragmatique et ouvert au dialogue multilatéral ». Selon une source diplomatique européenne, sa nomination pourrait faciliter l’alignement entre la BAD et les objectifs du Global Gateway, l’initiative européenne de financement des infrastructures face à la Belt and Road chinoise.
L’UE souhaite notamment renforcer la collaboration autour du financement climatique, de la digitalisation rurale et de la transition énergétique, secteurs que Sidi Ould Tah connaît bien via ses années à la tête de la BADEA.
La Chine observe, mais reste discrète
Du côté de Pékin, aucune réaction officielle n’a été publiée dans les heures suivant l’élection. Toutefois, selon plusieurs médias spécialisés, les autorités chinoises s’étaient montrées réservées sur tous les candidats en lice, considérant que la BAD reste trop influencée par les bailleurs occidentaux. La Chine préfère agir via ses propres canaux bilatéraux, ou via des banques parallèles comme la Nouvelle Banque de Développement (NDB) des BRICS.
Néanmoins, des représentants de la Banque chinoise de développement (CDB) présents à Abidjan ont laissé entendre que des canaux de coopération technique pourraient être explorés avec la nouvelle équipe dirigeante, notamment sur les projets agro-industriels en Afrique de l’Ouest.
Un signal envoyé au FMI et à la Banque mondiale
Au-delà des partenaires directs, cette élection envoie un message clair à l’ensemble des institutions financières internationales : l’Afrique entend choisir ses priorités et ses hommes, sans se plier aux lignes de fracture idéologiques entre les grandes puissances. Sidi Ould Tah, moins exposé médiatiquement que ses concurrents, pourrait justement incarner un style plus sobre mais plus autonome, à l’heure où les appels à la « décolonisation des politiques de développement » se multiplient.
Une présidence qui pourrait redéfinir les rapports de force
L’élection d’un président mauritanien, francophone, au profil multilatéral et africain dans l’âme, pourrait permettre à la BAD de jouer un rôle de trait d’union entre blocs concurrents, tout en recentrant son action sur les véritables besoins des économies africaines.
Pour les puissances étrangères, l’enjeu sera désormais de composer avec une BAD plus structurée, plus exigeante, et potentiellement moins dépendante des agendas extérieurs.
La Rédaction
Leave a comment