Par Bakary Cisse | Lementor.net
L’année 2024 aura marqué un tournant décisif pour la Côte d’Ivoire, qui a enregistré un excédent commercial historique de 2 018 milliards FCFA. Ce bond spectaculaire n’est pas une simple performance conjoncturelle mais le reflet d’une maturité économique nouvelle, portée par la transformation locale, la diversification sectorielle et une vision stratégique de long terme. Avec cet excédent record, le pays consolide son rôle de locomotive ouest-africaine et affirme une ambition claire : devenir l’un des hubs exportateurs les plus puissants du continent.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 12 354 milliards FCFA d’exportations en 2024, un niveau jamais atteint, contre 10 336 milliards d’importations. La dynamique est portée par des filières stratégiques dont la montée en puissance redessine le paysage économique. Le cacao et ses dérivés représentent plus de 35 % des ventes extérieures, dopés par des cours mondiaux exceptionnellement élevés, tandis que l’or contribue à plus de 15 % des exportations. Le pétrole brut, les produits raffinés et le caoutchouc complètent ce socle pour constituer plus de 70 % des recettes extérieures. Dès le premier trimestre 2024, la tendance était claire : l’excédent commercial avait déjà atteint 441,3 milliards FCFA, au-dessus des 382,6 milliards enregistrés un an plus tôt. Le secteur minier, avec une progression fulgurante de 39 %, et l’entrée en production d’actifs pétroliers comme le champ Baleine, ont largement contribué à ce dynamisme. L’agriculture industrielle n’est pas en reste : +66 % au premier semestre 2024, confirmant la montée en puissance d’un secteur où Abidjan domine désormais l’UEMOA avec 42 % des exportations régionales.
La véritable rupture se situe cependant dans l’approfondissement de la transformation locale. La Côte d’Ivoire, longtemps dépendante de l’exportation brute de matières premières, opère un basculement historique. Dans le cacao, fleuron national représentant 39 % du marché mondial, quatorze usines transforment désormais un tiers de la production nationale. À San Pedro, le géant GCB en est l’exemple emblématique : 240 000 tonnes transformées chaque année, des milliers d’emplois créés et une chaîne de valeur renforcée. Le même mouvement touche l’or, le caoutchouc ou encore l’anacarde, dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial. Les unités de première transformation ont généré 819,7 milliards FCFA au premier trimestre 2024, une hausse de 59 % qui illustre l’efficacité de ce repositionnement industriel.
Cet essor est directement lié à la mise en œuvre du Plan National de Développement 2021-2025, réalisé à 77 % fin 2024 et représentant 45,5 milliards d’euros d’investissements. Des zones économiques spéciales, comme celle de San Pedro, renforcent cette dynamique en offrant des écosystèmes intégrés combinant logistique moderne, industrie agroalimentaire et incitations fiscales attractives. Les résultats sont immédiats : un PIB en croissance de 6 %, un secteur secondaire porté à 23,7 % et un tertiaire effervescent représentant 61,6 % du PIB, notamment grâce à la vitalité des télécoms et des transports.
La trajectoire du pays ouvre désormais la voie à une nouvelle phase. Les projections pour 2025 tablent sur une croissance de l’ordre de 7 %, soutenue par les hydrocarbures, dont la contribution au PIB devrait atteindre 4,5 % d’ici 2029. L’accès maîtrisé aux marchés financiers internationaux, illustré par l’Eurobond de 2,6 milliards USD émis en 2024 à un taux de 6,61 %, renforce la crédibilité d’un État qui maintient sa dette sous contrôle à 57 % du PIB. Le prochain plan 2026-2030, centré sur l’économie numérique et les énergies renouvelables, devrait approfondir encore cette dynamique transformationnelle.
Mais cette ascension n’est pas exempte de défis. Le changement climatique pèse sur le cacao, colonne vertébrale économique qui fait vivre six millions d’Ivoiriens. La dépendance aux importations alimentaires, notamment pour le riz et le blé, invite à accélérer la marche vers l’autosuffisance. Le service de la dette, qui représente 30 % des revenus, doit être progressivement allégé par une fiscalité renforcée, aujourd’hui à 14,4 % du PIB contre un objectif communautaire de 20 %. Enfin, la croissance ne pourra être durable que si elle demeure inclusive, en intégrant pleinement les communautés rurales, en multipliant les certifications d’exportation vers les marchés exigeants et en renforçant les initiatives de décarbonisation, comme les projets pilotes menés avec ENI.
L’excédent record de 2024 n’est donc ni un accident ni une parenthèse euphorique. Il incarne une Côte d’Ivoire en transition, qui transforme ses ressources en souveraineté, ses matières premières en valeur, et sa vision en puissance régionale. Pour l’Afrique, c’est un signal fort : l’industrialisation n’est pas un rêve lointain, elle est possible, mesurable et reproductible. Abidjan ne se contente plus de suivre les tendances ; elle les crée. Reste désormais à maintenir ce cap avec la même audace qui a permis d’atteindre ces premiers sommets
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