Par Izoudine Youssef | Lementor.net
À moins de trois mois de la présidentielle ivoirienne, les violences qui ont secoué la commune de Yopougon dans la nuit du 1er au 2 août 2025 jettent une lumière crue sur le climat de tension qui s’installe progressivement dans le pays. Ce quartier populaire d’Abidjan, traditionnellement acquis à l’opposition, a été le théâtre d’actes de vandalisme et d’agressions coordonnées, semant la panique chez les habitants et relançant les inquiétudes sur le risque de dérive sécuritaire en période électorale. Depuis cet épisode, les services de police mènent une enquête accélérée qui a conduit à une série de convocations visant des membres influents du Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), le mouvement politique de Laurent Gbagbo. Le nom de Koua Justin, ancien leader de jeunesse et figure incontournable de la mobilisation de terrain, circule aux côtés de ceux de Blaise Lasme, Damana Pickass et Dahi Nestor. Tous convoqués. Tous soupçonnés. Tous déjà connus pour leur activisme intransigeant et leur proximité avec la ligne dure du parti.
Ces convocations interviennent dans un contexte particulier, où l’un des agents de la sécurité du PPA-CI, arrêté quelques jours plus tôt, aurait livré des aveux mettant en cause l’implication directe de membres du parti dans l’organisation de ces violences. S’agit-il d’aveux réels ou forcés, comme le soutient la direction du PPA-CI dans sa dernière déclaration ? La question divise, mais alimente un débat désormais central : jusqu’où certains acteurs sont-ils prêts à aller pour peser sur l’issue du scrutin présidentiel ? Car ce que révèle cette affaire dépasse la simple dimension judiciaire. Elle traduit une nouvelle fois la fragilité de l’espace politique ivoirien, où l’accusation et la contre-accusation tiennent lieu de stratégie, où la rue devient le prolongement des états-majors, et où l’instrumentalisation de la violence reste une tentation permanente pour les factions les plus radicales.
À mesure que l’enquête avance, le spectre d’un durcissement du face-à-face entre le pouvoir et le PPA-CI s’épaissit. Le président Alassane Ouattara, fraîchement investi candidat à sa propre succession pour un quatrième mandat controversé, semble déterminé à neutraliser toutes les poches de résistance politique, notamment celles qui pourraient troubler le bon déroulement du processus électoral. Du côté du PPA-CI, la ligne est claire : il s’agit d’une opération de répression politique maquillée en procédure judiciaire, une tentative de décapitation ciblée du parti à travers l’intimidation de ses cadres les plus influents. L’appel à la mobilisation lancé par Jean Gervais Tchéidé, porte-parole adjoint du parti, témoigne de la volonté de résister à ce qu’il qualifie de dérive autoritaire.
Mais au-delà du bras de fer entre le régime et l’opposition, c’est toute la crédibilité du processus électoral qui est désormais en jeu. L’opinion publique, profondément marquée par les violences post-électorales de 2010, observe avec inquiétude cette montée en tension. Nombreux sont ceux qui redoutent une réédition des affrontements d’hier, surtout si les autorités judiciaires échouent à établir la vérité dans un climat de transparence et de respect des droits. Car si les faits reprochés aux militants ou cadres du PPA-CI sont avérés, il en va de la justice de les poursuivre. Mais si, au contraire, il s’avère que ces actes ont été instrumentalisés pour affaiblir un parti et écarter des candidatures gênantes, alors c’est l’État de droit lui-même qui sera éclaboussé, au risque de compromettre la paix déjà si fragile.
La suite de cette affaire sera donc décisive. Elle dira si la Côte d’Ivoire s’engage véritablement sur la voie d’une démocratie mature, capable de juger en toute indépendance, ou si elle reste prisonnière d’une logique de confrontation où la justice devient l’arme d’un pouvoir en quête de prolongation. En attendant, la police continue sa traque, les convocations s’enchaînent, les tensions montent. Et la présidentielle approche, sur une ligne de crête.
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