Bakary Cissé, pour lementor.net
Le lancement de CACAO S.A., la Maison du Cacao, le 2 août 2025 à Divo, marque bien plus qu’une inauguration industrielle : c’est le symbole d’un basculement stratégique dans l’histoire économique de la Côte d’Ivoire. Pensée et portée par l’audace entrepreneuriale des frères Diakité, cette usine ultramoderne implantée à Grémien-Divo incarne la volonté affirmée du pays de rompre avec le modèle classique d’exportation brute pour embrasser pleinement une logique de transformation locale à forte valeur ajoutée. Longtemps premier producteur mondial de fèves de cacao – avec plus de 40 % de l’offre globale –, la Côte d’Ivoire entend désormais devenir également le chef de file africain de l’agro-industrie.
Les signaux d’une mutation profonde sont déjà tangibles. La Côte d’Ivoire a récemment dépassé les Pays-Bas pour devenir le premier pays transformateur mondial de cacao, atteignant une capacité annuelle de broyage estimée à 1,3 million de tonnes. Un changement d’échelle majeur qui repositionne le pays dans les circuits internationaux, non plus seulement comme pourvoyeur de matières premières, mais comme acteur industriel à part entière. Ce basculement ne s’arrête pas au cacao. Le secteur de l’anacarde suit une dynamique comparable. Avec une production de 1,2 million de tonnes de noix brutes chaque année, la Côte d’Ivoire est devenue le troisième transformateur mondial, derrière l’Inde et le Vietnam. La progression est impressionnante : en une décennie, la capacité nationale de transformation est passée de 50 000 à 300 000 tonnes de noix décortiquées par an. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes : le pays est en train de bâtir une véritable puissance agro-industrielle.
Plusieurs leviers expliquent cette transformation accélérée. L’augmentation des investissements directs étrangers, stimulée par un climat politique stabilisé et des incitations fiscales ciblées, a offert aux investisseurs une confiance renouvelée. L’émergence de zones industrielles structurées comme Akoupé Zedji PK24 à Abidjan ou Bouaké au centre du pays a permis de doter les régions d’équipements industriels modernes, capables d’absorber et de traiter des volumes croissants de production agricole. Parallèlement, la stratégie étatique s’est clarifiée : transformer 100 % du cacao produit localement d’ici 2030, et 50 % de l’anacarde d’ici 2027. Cette vision traduit une ambition souverainiste assumée : créer de la richesse localement, valoriser le travail ivoirien, maîtriser la chaîne de valeur du champ à l’export.
Ce développement industriel, au-delà des usines, irrigue l’ensemble du tissu économique national. Les banques, le transport, la logistique, les assurances ou encore la formation professionnelle profitent de cette montée en puissance. Une nouvelle dynamique de croissance se dessine, créatrice d’emplois et porteuse d’espoir dans un contexte où les jeunes générations cherchent des opportunités concrètes.
Cependant, les défis ne manquent pas. La volatilité des cours internationaux, les fragilités des chaînes logistiques locales et les pressions environnementales exigent des réponses responsables. La lutte contre la déforestation, l’efficacité énergétique des unités de transformation ou encore la gestion des déchets industriels deviennent des enjeux aussi cruciaux que la production elle-même. De même, la montée en compétence de la main-d’œuvre locale reste déterminante. Sans ingénieurs, techniciens et opérateurs formés, l’outil industriel risque de ne pas produire tout son potentiel.
La Maison du Cacao, à cet égard, n’est pas un simple projet industriel. C’est un manifeste. En choisissant de produire, transformer et exporter à partir du sol ivoirien, ce projet donne un visage concret à une vision d’indépendance économique. Il matérialise une Afrique qui entend rompre avec la logique d’extraction et de dépendance pour entrer dans celle de la création, de la maîtrise et du développement inclusif. Le pari est audacieux, mais il semble déjà gagner du terrain.
Si la Côte d’Ivoire maintient cette trajectoire, elle pourrait devenir la référence continentale en matière d’industrialisation agroalimentaire, démontrant que l’avenir de l’Afrique ne se joue plus uniquement dans ses ressources, mais dans sa capacité à les transformer elle-même. La révolution agro-industrielle ivoirienne n’est plus une promesse : elle est en cours. Et dans cette marche vers une souveraineté économique assumée, la transformation locale n’est pas un luxe, mais une nécessité stratégique.
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