Par Bakary Cissé | Lementor.net
La longévité au pouvoir est l’un des sujets les plus controversés du paysage politique mondial, mais elle suscite un débat particulièrement vif en Afrique. Dans de nombreux pays du continent, cette permanence à la tête de l’État est perçue comme un frein au développement, un terreau fertile pour la dictature et un obstacle à l’alternance démocratique. Des figures comme Paul Biya, au Cameroun depuis 1982, Teodoro Obiang Nguema en Guinée équatoriale depuis 1979, Denis Sassou Nguesso au Congo avec plus de quarante ans cumulés au pouvoir, Yoweri Museveni en Ouganda depuis 1986, Isaias Afwerki en Érythrée depuis 1993 ou encore Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire depuis 2010 – avec une polémique persistante autour d’un quatrième mandat – incarnent cette problématique. L’histoire africaine récente n’est pas en reste : Omar Bongo au Gabon (1967–2009) ou Mobutu Sese Seko au Zaïre (1965–1997) ont marqué des décennies par une emprise politique et institutionnelle prolongée, souvent associée à la stagnation économique, aux violations des droits humains et à un déficit démocratique profond.
En Afrique, la longévité au pouvoir est fréquemment synonyme d’immobilisme. Paul Biya illustre cette tendance avec un régime caractérisé par la centralisation extrême, l’affaiblissement systématique de l’opposition et une gestion clientéliste qui étouffe les réformes économiques et institutionnelles. Teodoro Obiang dirige un pays riche en pétrole où, paradoxalement, la majorité vit dans la pauvreté, les richesses restant concentrées entre les mains d’une élite restreinte. Denis Sassou Nguesso et Isaias Afwerki perpétuent des systèmes où le contrôle des médias, la marginalisation de l’opposition et la personnalisation du pouvoir excluent toute véritable alternance. Yoweri Museveni, malgré des réussites économiques ponctuelles, a transformé l’Ouganda en régime quasi à parti unique, tandis qu’en Côte d’Ivoire, le troisième mandat controversé d’Alassane Ouattara a ravivé les fractures politiques. Dans tous ces cas, l’absence de rotation au sommet empêche l’émergence de nouvelles idées, renforce la dépendance à une figure centrale et rend les transitions chaotiques, comme l’ont montré les successions brutales après Mobutu ou Bongo.
Pourtant, à l’échelle mondiale, la longévité au pouvoir ne produit pas toujours les mêmes effets. Dans certaines démocraties solides, elle a pu rimer avec stabilité et continuité stratégique. Angela Merkel, restée seize ans chancelière en Allemagne, a incarné un leadership de crise, gérant avec prudence la crise financière mondiale de 2008, la crise migratoire de 2015 et consolidant l’influence européenne de son pays. Helmut Kohl, au pouvoir de 1982 à 1998, a conduit avec succès la réunification allemande, un chantier historique nécessitant une vision à long terme. Au Japon, Shinzo Abe a profité de ses huit années consécutives pour appliquer les “Abenomics” et tenter de revitaliser une économie en déclin. Margaret Thatcher, au Royaume-Uni, a imposé des réformes radicales qui ont durablement transformé le paysage économique britannique. Benjamin Netanyahu, en Israël, a su maintenir une continuité stratégique dans un environnement géopolitique explosif. Ces exemples démontrent que la durée peut, dans des systèmes institutionnels robustes, être un atout pour la mise en œuvre de réformes ambitieuses.
Cependant, même dans les pays développés, la longévité peut dériver vers l’autoritarisme ou la polarisation. Viktor Orbán en Hongrie et Vladimir Poutine en Russie sont des illustrations claires d’un glissement vers le contrôle absolu des institutions et des médias, limitant la diversité politique. Silvio Berlusconi en Italie a quant à lui marqué la vie politique par des divisions profondes malgré la vitalité démocratique italienne. La différence essentielle réside dans la présence ou l’absence de contre-pouvoirs réels : parlements efficaces, justice indépendante, médias libres, société civile organisée.
L’Afrique compte quelques exceptions qui nuancent ce tableau sombre. Paul Kagame, au pouvoir au Rwanda depuis 2000, est souvent cité comme un dirigeant ayant utilisé sa longévité pour transformer un pays ravagé par le génocide en un État plus stable et économiquement dynamique. Mais cette réussite est assortie de critiques persistantes sur le manque de libertés politiques, la surveillance accrue et la répression des voix dissidentes.
La question de la longévité au pouvoir ne peut donc se résumer à une opposition binaire entre stabilité et blocage. Dans les démocraties consolidées, la durée peut favoriser la cohérence des politiques publiques, le suivi des réformes et l’ancrage d’une vision à long terme. Dans les systèmes fragiles ou autoritaires, elle devient en revanche un piège, figeant les structures, alimentant la corruption et décourageant toute alternance. Le véritable enjeu réside dans la manière dont le pouvoir est exercé et contrôlé, non dans la seule durée du mandat. Sans institutions solides, liberté d’expression, pluralisme politique et justice indépendante, la longévité ne peut être qu’un facteur aggravant des crises démocratiques. Le défi, en Afrique comme ailleurs, est donc de construire des cadres politiques où la stabilité ne repose pas sur un seul homme, mais sur la solidité des institutions et la vitalité du débat démocratique.
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