Par La Rédaction
Depuis plus d’une décennie, la Côte d’Ivoire s’est engagée dans une trajectoire sociale singulière, sous l’impulsion du président Alassane Ouattara. Longtemps perçu comme un technocrate libéral, le chef de l’État a su surprendre en inscrivant une véritable dimension sociale à son action politique. Ce choix, nourri d’un houphouétisme réinventé, conjugue ambition publique, innovation institutionnelle et souci d’inclusion. En cette année électorale 2025, ce modèle se trouve à la croisée des chemins, fort de ses acquis mais encore perfectible dans sa portée.
Une architecture sociale en pleine maturation
La Couverture Maladie Universelle (CMU), avec près de 17 millions d’enrôlés en février 2025, incarne une avancée majeure dans le paysage sanitaire ouest-africain. Le bond du taux d’utilisation de 9 % à 24 % en une année témoigne d’une appropriation croissante par la population. Bien que des défis logistiques subsistent, notamment dans les zones éloignées, la CMU a démocratisé l’accès aux soins primaires et spécialisés, posant les bases d’une santé publique plus inclusive.
Le Régime Social des Travailleurs Indépendants (RSTI) illustre également cette volonté d’élargir le champ de la solidarité nationale. En intégrant les acteurs du secteur informel — qui forment l’épine dorsale de l’économie ivoirienne — ce dispositif novateur ouvre une voie nouvelle vers la sécurité sociale. À travers le digital et des mécanismes simples, des milliers de travailleurs naguère exclus commencent à bénéficier d’une couverture maladie et d’une retraite future, participant ainsi à un modèle plus équilibré.
Les filets sociaux, quant à eux, touchent désormais plus de 527 000 ménages, avec l’intégration récente de 70 000 nouveaux foyers. Le transfert trimestriel de 36 000 FCFA, doublé d’un suivi social, montre que l’action publique peut être à la fois ciblée, humaine et efficace. L’informatisation du dispositif renforce la transparence et réduit les risques de fraude, tout en garantissant un meilleur accompagnement des familles.
La Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS), enfin, demeure le pilier central de cet édifice. Sa solidité financière, avec une couverture supérieure à 150 % de la masse salariale, lui permet d’innover tout en rassurant. L’instauration d’un 13e mois pour les retraités, rarissime sur le continent, souligne le caractère durable de cette vision à long terme.
Des défis pour bâtir sur les acquis
Si les bases sont désormais posées, l’enjeu de la décennie sera de consolider. L’inflation, bien que maîtrisée à l’échelle macroéconomique, continue d’éroder le pouvoir d’achat des plus modestes, notamment dans les centres urbains. Le recent relèvement du SMIG constitue une réponse encourageante, mais son efficacité dépendra du contrôle du coût de la vie et de la régulation des pratiques dans certains segments du secteur privé.
L’informalité reste également un défi central. Le RSTI trace une voie prometteuse, mais l’extension de son impact exige une mobilisation plus large : campagnes de sensibilisation, accompagnement des petites unités économiques, simplification des procédures. Le potentiel d’adhésion est réel, encore faut-il le capter durablement.
Les disparités territoriales, longtemps sous-estimées, doivent désormais être abordées comme une priorité stratégique. Les efforts déployés pour déployer des unités mobiles d’enrôlement et investir dans les infrastructures sociales des zones rurales sont à saluer. Il conviendra de renforcer cette dynamique en adaptant les politiques aux spécificités locales.
Enfin, à l’approche des échéances électorales, l’importance d’un consensus national autour de ces politiques sociales devient cruciale. Les programmes en place ont démontré leur utilité et leur impact. Ils gagneraient à être perçus comme des biens publics pérennes, transcendant les clivages politiques. Une gouvernance participative et transparente, associant opposition, société civile et institutions, serait un levier puissant pour ancrer la confiance et éviter toute instrumentalisation.
Vers un État-providence africain à visage humain
L’expérience ivoirienne dessine les contours d’un modèle social africain original. Ce n’est pas une simple reproduction d’un État-providence occidental, mais bien une création hybride, enracinée dans le réel ivoirien et portée par une vision de justice sociale. Les résultats sont là : amélioration de la couverture santé, soutien aux plus vulnérables, inclusion progressive des travailleurs précaires.
L’avenir de ce modèle repose désormais sur sa capacité à s’adapter, à élargir son socle de bénéficiaires, et à renforcer sa résilience face aux aléas économiques. La Côte d’Ivoire a su prendre une longueur d’avance en Afrique de l’Ouest sur ces questions. Elle peut désormais assumer un rôle de référence régionale, en partageant ses outils, ses leçons et ses innovations.
Plus qu’un pari politique, le volontarisme social ivoirien est devenu un engagement républicain. Il appartient à tous — dirigeants, citoyens, partenaires — de le faire vivre et grandir, pour que l’équité, la dignité et la solidarité deviennent les véritables fondations du développement national.
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