Par Jean Pierre Assa | lementor.net
L’arrestation de Moussa Mara, ancien Premier ministre malien, ce 1er août 2025, jette une ombre de plus sur le régime militaire en place à Bamako. Placé sous mandat de dépôt pour « atteinte au crédit de l’État », « opposition à l’autorité légitime », et « incitation au trouble à l’ordre public », Mara rejoint la longue liste des figures politiques désormais réduites au silence. Mais cette fois, la manœuvre choque jusque dans les rangs les plus modérés : elle frappe un ancien chef de gouvernement, une personnalité jugée pondérée, républicaine, et respectée au-delà des clivages partisans. En s’attaquant à Mara, le régime de transition pourrait bien avoir franchi un cap – celui de l’intimidation systématique.
À l’origine, deux publications sur X (anciennement Twitter) où l’ex-Premier ministre exprime sa solidarité à des prisonniers politiques et critique une opération d’endettement jugée opaque. En démocratie, ce type de commentaire s’inscrit dans le droit d’expression, et même dans le devoir de vigilance d’un homme d’État. Mais dans le Mali de 2025, cela vaut désormais des chefs d’accusation pénale. Le pouvoir a sauté sur l’occasion pour faire de Mara un exemple. Convoqué à plusieurs reprises en juillet, empêché de quitter le territoire, il a finalement été privé de liberté comme un opposant de seconde zone. L’image est forte : la junte ne tolère plus aucune voix dissonante, aussi institutionnelle soit-elle.
Car ce qui inquiète ici n’est pas seulement le sort de Mara, mais ce qu’il symbolise. Il fut Premier ministre sous IBK, ancien maire, homme de dossier et de consensus, peu versé dans la polémique inutile. S’il est aujourd’hui sous les verrous pour avoir osé critiquer une politique publique ou rappeler que la justice doit s’appliquer à tous, que reste-t-il de l’espace civique au Mali ? La dissolution récente des partis politiques, la reconduction de la transition jusqu’en 2029, et la criminalisation rampante de l’opinion forment un triptyque inquiétant. À ce rythme, le Mali se referme chaque jour un peu plus sur lui-même, coupé de l’esprit même de la transition.
Le Club de Madrid, qui réunit d’anciens chefs d’État et de gouvernement, s’est d’ailleurs alarmé de cette arrestation, rappelant que même dans les contextes post-coup d’État, les libertés fondamentales doivent subsister. Car il ne suffit pas de proclamer la stabilité pour être légitime. Encore faut-il accepter la contradiction, surtout quand elle émane d’anciens responsables de l’État. L’arrestation de Moussa Mara n’est pas seulement un acte de répression de plus, c’est un message : toute parole critique, même modérée, sera punie. C’est là que le geste devient dangereux, car il ferme les canaux de dialogue au profit du rapport de force pur.
Dans une région déjà instable, où les régimes militaires se succèdent et se soutiennent, le Mali ne peut pas se permettre d’effacer tous les repères institutionnels construits au fil des décennies. La transition ne peut pas être une parenthèse d’autorité absolue. Et si la justice devient un instrument de pouvoir, le risque d’un retour à la violence politique augmente. L’arrestation de Moussa Mara, au-delà du symbole, est peut-être l’arrestation de trop. Car elle met à nu une transition de plus en plus nue de toute légitimité démocratique. Et au fond, c’est le crédit du régime lui-même qui en sort durablement atteint.
Leave a comment