Par Jean Pierre Assa
Abidjan, le 5 juin 2025 – C’est une décision qui, en apparence, regarde vers le ciel, mais qui, en réalité, s’ancre profondément dans les ambitions terrestres du pays. En actant la création officielle de l’Agence Spatiale de Côte d’Ivoire (ASCI) lors du Conseil des ministres du 4 juin, le gouvernement ivoirien ne signe pas seulement un décret administratif : il projette une vision.
Une vision d’un État africain qui refuse d’être à la traîne des révolutions technologiques du XXIe siècle. Une vision d’un continent qui, loin des clichés d’assistanat ou de conflit, veut maîtriser les outils les plus avancés de la modernité pour répondre à ses défis les plus concrets : sécurité alimentaire, gestion des ressources naturelles, adaptation climatique, urbanisation durable.
Un outil stratégique pour les politiques publiques
Dès sa mise en service, l’ASCI aura pour mission de piloter la politique spatiale nationale, en lien avec des priorités opérationnelles bien identifiées. À commencer par l’observation satellitaire de la Terre, un levier puissant pour anticiper les sécheresses, cartographier les zones agricoles, prévenir les inondations ou surveiller la déforestation.
Dans une Afrique où les catastrophes naturelles sont souvent amplifiées par l’absence de données fiables, l’accès à des images satellites haute résolution représente une arme de souveraineté. Elle permettra aux autorités ivoiriennes de mieux planifier, de mieux intervenir, et surtout de mieux décider.
S’inscrire dans la dynamique continentale
Avec cette agence, la Côte d’Ivoire rejoint le club encore restreint des pays africains ayant structuré une politique spatiale : le Maroc, l’Algérie, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Rwanda, et plus récemment l’Angola et le Kenya. Ce mouvement, autrefois marginal, prend aujourd’hui une forme institutionnelle continentale avec l’African Union Space Agency (AUSA), partenaire naturel pressenti de l’ASCI.
Mais l’Ivoirien entend aussi défendre ses spécificités, en mettant l’accent sur les usages civils et environnementaux du spatial, et non sur la course technologique ou militaire. Le gouvernement entend mobiliser des partenariats internationaux, notamment avec le CNES français, l’Agence spatiale européenne (ESA) ou des acteurs privés spécialisés dans les nano-satellites.
Une ambition économique, éducative et scientifique
L’impact de cette agence ne se limite pas au ciel. L’objectif est aussi de faire de l’espace un moteur de développement économique. L’ASCI prévoit de soutenir la formation de centaines de jeunes chercheurs, ingénieurs et techniciens, en partenariat avec les universités nationales, les écoles d’ingénieurs, et les centres de recherche régionaux.
À terme, l’écosystème spatial ivoirien pourrait générer des emplois à haute valeur ajoutée, favoriser l’émergence de start-up spécialisées dans la géomatique ou la data, et renforcer l’attractivité du pays pour les investisseurs en innovation. Car dans l’économie de demain, la donnée devient un capital. Et celui qui en capte, en lit, en analyse et en sécurise les flux satellites dispose d’un avantage stratégique décisif.
De la Terre aux étoiles, sans naïveté
Reste à concrétiser cette promesse. Comme pour toute ambition d’envergure, la réussite de l’ASCI dépendra de la gouvernance, du financement, et surtout de la volonté politique à long terme. Il ne s’agit pas de construire une agence de prestige, mais une institution agile, rigoureuse, connectée aux réalités ivoiriennes.
Dans un monde fracturé, le choix de la Côte d’Ivoire de regarder vers les étoiles avec pragmatisme, méthode et ancrage local est un signal fort. Car ici, la conquête spatiale n’est ni une fuite, ni un luxe : c’est un outil de transformation, au service des vivants et de la souveraineté nationale.
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