Par Dohotani Yeo
La venue à Abidjan d’Ousmane Sonko, Premier ministre de la République du Sénégal, n’a pas laissé indifférent. Annoncée comme une simple étape dans une tournée régionale de prise de contact, cette visite a rapidement pris des allures de rendez-vous stratégique à forte valeur symbolique. Reçu avec les honneurs par son homologue ivoirien Robert Beugré Mambé, puis accueilli au Palais présidentiel par le chef de l’État Alassane Ouattara, Ousmane Sonko a été au centre d’une série d’échanges à huis clos, ponctués par des séances de travail élargies aux délégations techniques des deux pays.
Les thématiques abordées n’ont pas été anodines : intégration économique sous-régionale, coopération en matière de sécurité et de renseignement, projets communs d’infrastructures, sans oublier la circulation des personnes dans l’espace CEDEAO. À l’heure où la menace terroriste au Sahel pousse les États côtiers à renforcer leurs dispositifs de défense, le rôle du Sénégal comme pivot sécuritaire est désormais complémentaire à celui de la Côte d’Ivoire, dont les positions géopolitiques et diplomatiques demeurent solides. Des annonces concrètes sur l’interconnexion énergétique et les corridors routiers ont également été évoquées, signe que la coopération entre les deux pays ne se limite plus aux déclarations de principe.
Mais au-delà des dossiers techniques, c’est bien la stature d’Ousmane Sonko qui a nourri l’attention médiatique et diplomatique. À 50 ans, le Premier ministre sénégalais, issu d’une opposition farouche et aujourd’hui promu au rang d’homme d’État, incarne une forme de rupture générationnelle dans le paysage politique ouest-africain. En foulant le sol ivoirien, il a montré qu’il ne comptait pas se limiter à un rôle domestique. Son discours sobre mais ferme, insistant sur une Afrique qui « ne demande plus la permission d’exister et de s’unir », a été interprété comme un clin d’œil aux élans souverainistes qui traversent la région depuis les changements de régime au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Côté ivoirien, la réception a été d’une élégance diplomatique exemplaire. Le président Ouattara, souvent décrit comme le doyen stabilisateur de la sous-région, a su équilibrer accueil républicain et prudente distance idéologique. Si les deux hommes ne partagent pas les mêmes parcours ni les mêmes registres politiques, leur échange a montré une volonté commune de transcender les clivages pour travailler ensemble. Une image forte, dans une Afrique de l’Ouest parfois fracturée par des oppositions dogmatiques ou des replis nationalistes.
En définitive, cette visite d’Ousmane Sonko à Abidjan dépasse le simple protocole bilatéral. Elle s’inscrit dans un moment politique où le leadership sous-régional se redessine, où la voix des jeunes générations d’élus monte en puissance, et où les défis sécuritaires, économiques et sociaux exigent des réponses concertées. La Côte d’Ivoire, en tant que poids lourd économique et diplomatique, et le Sénégal, fort de sa transition politique récente, pourraient bien former un tandem influent dans la redéfinition des alliances et des stratégies de la CEDEAO.
Ce 31 mai, Abidjan n’a pas seulement accueilli un Premier ministre. Elle a, peut-être, vu passer une nouvelle ligne de fracture — ou d’unité — dans le futur de l’Afrique de l’Ouest.
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