Par Bakary Cissé | Lementor.net
Dans un contexte mondial où la transition énergétique recompose les équilibres géopolitiques, la Côte d’Ivoire se distingue par une stratégie audacieuse : diversifier ses sources et ses partenaires pour renforcer sa souveraineté et se positionner comme un pôle régional incontournable. La signature d’un contrat inédit entre Saudi Aramco et la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR) incarne ce virage. Plus qu’une transaction commerciale, cet accord symbolise une percée stratégique : dix cargaisons d’essence semi-finie seront livrées, marquant la première incursion du géant saoudien en Afrique de l’Ouest et propulsant Abidjan au cœur des enjeux énergétiques internationaux.
La Côte d’Ivoire dispose d’un mix énergétique singulier, combinant héritage fossile et ambition renouvelable. La biomasse représente encore plus de 60 % de la production totale, valorisant les résidus agricoles du cacao et du café. La centrale Biokala, plus grande infrastructure biomasse de l’Afrique de l’Ouest, illustre ce savoir-faire. À côté, les hydrocarbures demeurent essentiels : environ 50 000 barils de pétrole par jour et des réserves de gaz considérables, renforcées par le gisement Baleine, découvert en 2021 et évalué à près de 2,5 milliards de barils. Plus de 70 % de l’électricité consommée provient aujourd’hui des centrales thermiques au gaz, mais les énergies vertes progressent : barrages hydroélectriques comme Soubré (275 MW), solaire en expansion, projets éoliens et géothermiques à l’étude. L’objectif fixé est clair : 42 % d’énergies renouvelables d’ici 2030.
Cette diversification énergétique s’accompagne d’une volonté géopolitique affirmée. Longtemps dépendante de ses liens historiques avec l’Europe, la Côte d’Ivoire élargit son horizon vers l’Asie et le Moyen-Orient. L’entrée de Saudi Aramco à la SIR en est la démonstration, complétant les partenariats déjà tissés avec la Chine et l’Inde sur les infrastructures, ou encore avec les États-Unis dans l’énergie et les mines. Loin de se limiter à une diversification commerciale, ce repositionnement confère à Abidjan une stature stratégique : un hub de raffinage et de distribution énergétique capable de rayonner sur toute l’Afrique de l’Ouest, mais aussi une plateforme attractive pour les investisseurs globaux.
Le contrat Aramco-SIR illustre cette dynamique. Remporté par appel d’offres international, il renforce la sécurité d’approvisionnement, modernise les capacités de raffinage et ouvre la voie à une coopération technologique et industrielle. Pour Abidjan, il marque un tournant : la capitale économique ivoirienne ne se contente plus d’être un carrefour commercial, elle aspire à devenir un centre énergétique régional, combinant hydrocarbures et renouvelables, et exportant déjà de l’électricité vers le Burkina Faso et le Mali.
Bien sûr, des défis persistent. La dépendance aux importations de brut, la pression climatique et la nécessité d’équilibrer croissance et durabilité imposent des arbitrages délicats. Mais la stratégie ivoirienne se veut résiliente : diversification sectorielle, industrialisation accrue via le Plan National de Développement, et montée en gamme des partenariats internationaux. L’empreinte d’Abidjan dans les chaînes de valeur énergétiques se renforce, tout en offrant des perspectives d’emplois, de formation et de transferts de compétences.
Au-delà du contrat emblématique avec Saudi Aramco, c’est une vision qui se dessine : celle d’une Côte d’Ivoire moteur d’une Afrique résiliente, diversifiée et prospère. En assumant cette ambition, Abidjan s’impose comme le pivot énergétique d’Afrique de l’Ouest, capable d’attirer les géants mondiaux tout en consolidant sa transition vers un avenir durable.
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