Par La Rédaction
Depuis plusieurs années, des voix critiques s’élèvent pour dénoncer les failles sociales en Côte d’Ivoire, souvent en brandissant l’Indice de Développement Humain (IDH) comme preuve que les politiques publiques ne produisent pas d’avancées concrètes pour les populations. Or, s’appuyer exclusivement sur l’IDH pour mesurer les efforts d’un État revient à utiliser une règle rigide pour apprécier une réalité complexe et multidimensionnelle. La Côte d’Ivoire, comme de nombreux pays africains, ne peut être jugée uniquement par cet indicateur, car celui-ci présente des limites intrinsèques qui en réduisent la portée explicative.
L’IDH agrège trois dimensions — revenu, santé et éducation — selon des moyennes nationales. Mais ces moyennes masquent souvent la dynamique réelle d’un pays en développement, notamment les transformations structurelles en cours. La progression de l’IDH ivoirien est incontestable depuis la dernière décennie, mais ce progrès est parfois minimisé ou ignoré dans les discours de certains observateurs, qui préfèrent pointer la position relative du pays dans les classements mondiaux. Or, l’évolution est plus révélatrice que le rang. La Côte d’Ivoire est passée d’un IDH de 0,428 en 2000 à environ 0,550 en 2023, ce qui marque une amélioration continue, en dépit des crises successives.
Mais surtout, l’IDH ne prend pas en compte un ensemble de leviers essentiels du développement social ivoirien. Il ignore par exemple le poids du secteur informel, qui concerne plus de 80 % des actifs. Pourtant, ce secteur dynamique soutient des millions de familles et constitue un espace de résilience et d’innovation. Il n’est pas intégré au revenu national brut par habitant, ce qui sous-estime la capacité réelle de consommation et de survie des populations. Il ne capture pas non plus les efforts massifs déployés pour améliorer l’accès à l’électricité, à l’eau potable ou à la protection sociale via le régime d’assurance maladie universelle (CMU), des éléments pourtant fondamentaux du bien-être.
En matière d’éducation, l’IDH mesure le nombre d’années de scolarisation, sans évaluer l’investissement massif dans les infrastructures scolaires, les internats de jeunes filles, la gratuité de l’école ou encore les programmes de formation technique et professionnelle qui se sont développés depuis 2015. De même, la dimension sanitaire, centrée sur l’espérance de vie, ne rend pas compte des politiques de couverture médicale, de la rénovation des hôpitaux ou des campagnes de vaccination de masse contre des maladies endémiques.
C’est pourquoi il est plus judicieux d’élargir la grille d’analyse et de considérer d’autres indicateurs qui rendent mieux compte des progrès ivoiriens. Parmi ceux-ci, l’Indice de Pauvreté Multidimensionnelle (IPM) est plus adapté, car il inclut l’accès à l’électricité, à l’eau, à la santé, à l’éducation, aux biens durables et à la qualité du logement. Or, selon les données du PNUD, la Côte d’Ivoire a connu une réduction notable de la pauvreté multidimensionnelle entre 2014 et 2022.
Par ailleurs, des indices comme le taux d’accès à l’électricité (aujourd’hui proche de 80 %), le taux de couverture santé, le taux d’urbanisation, l’accès aux services bancaires, ou encore la densité d’infrastructures routières, montrent une amélioration réelle du cadre de vie, souvent passée sous silence dans les analyses fondées uniquement sur l’IDH.
Il faut également souligner que l’IDH ne mesure pas la stabilité politique, la croissance inclusive, l’esprit d’entreprise, ou encore la place grandissante de la Côte d’Ivoire dans les chaînes de valeur régionales. Le développement d’écosystèmes numériques à Abidjan, la croissance des PME, ou encore les progrès de la ZLECAF, sont autant de signaux d’un changement en profondeur, que ne capte pas cet indice classique.
Loin de rejeter l’IDH, il s’agit donc de le replacer dans un contexte plus large, et d’éviter toute lecture mécanique ou politisée. La Côte d’Ivoire, comme d’autres pays du Sud, appelle à une mesure du développement plus juste, plus ancrée dans les réalités du terrain, et plus ouverte à la diversité des trajectoires. Il serait temps d’adopter une batterie d’indicateurs complémentaires, voire de co-construire, avec les pays africains, de nouveaux outils de suivi du progrès humain adaptés à leurs contextes socio-économiques spécifiques.
Ainsi, utiliser l’IDH comme unique baromètre du progrès ivoirien relève d’une lecture incomplète, parfois biaisée. C’est ignorer les efforts structurels, les innovations sociales et les transformations lentes mais profondes à l’œuvre dans le pays. Juger l’avenir d’une nation en développement demande plus de nuances, plus de rigueur méthodologique et surtout, une réelle volonté de comprendre les dynamiques internes sans lunettes idéologiques.
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