Par Bakary Cissé | Lementor.net
À deux mois du scrutin présidentiel du 25 octobre 2025, le paysage politique ivoirien s’anime autour d’une question centrale : le boycott annoncé par Tidjane Thiam (PDCI) et Laurent Gbagbo (PPA-CI), réunis au sein d’un « Front Commun », peut-il constituer une arme efficace contre un processus électoral qu’ils jugent biaisé ? Ou s’agit-il d’un pari risqué, qui pourrait paradoxalement consolider le pouvoir en place ?
Les deux figures de l’opposition ont été écartées de la course : Thiam pour sa radiation des listes électorales, Gbagbo en raison de sa condamnation dans l’affaire de la casse de la BCEAO. Leur exclusion est perçue par leurs partisans comme une manœuvre du pouvoir pour éliminer des adversaires de poids face à un Alassane Ouattara candidat à un quatrième mandat, que Gbagbo dénonce depuis 2020 comme « anticonstitutionnel ». Le 16 août dernier, lors d’un meeting à Yopougon, l’ancien chef d’État a lancé un défi direct : « Dites-lui qu’il ne fera pas de quatrième mandat. » De son côté, Thiam a promis de « poursuivre le combat » malgré son éviction, brandissant le boycott comme ultime levier.
Mais l’histoire électorale ivoirienne rappelle les limites de cette stratégie. En 1995, le boycott du Front Républicain n’a pas empêché la réélection de Henri Konan Bédié. En 2000, l’absence du PDCI et du RDR n’a pas bloqué la victoire de Gbagbo face au général Robert Guéï. Plus récemment, en 2020, le Conseil National de Transition initié par l’opposition n’a pas freiné la réélection d’Ouattara, malgré des violences meurtrières. Comme le soulignait Francis Wodié dès 1995, « un boycott n’est efficace que s’il paralyse réellement le processus électoral », ce qui suppose une organisation millimétrée et une adhésion massive.
Le « Front Commun » se retrouve donc face à une équation difficile. Ses appels à la mobilisation populaire sont galvanisants, mais risquent de replonger le pays dans une spirale de tensions sans garantir un impact électoral. Sur le plan international, les recours restent limités : ni l’Union africaine, ni l’Union européenne, ni l’ONU n’ont donné suite aux appels pressants de Thiam et Gbagbo. Sans relais extérieur ni plan d’action concret, le boycott pourrait apparaître comme une posture symbolique plutôt qu’une stratégie disruptive.
À cela s’ajoute un facteur décisif : la présence de plusieurs autres candidats d’opposition, parmi lesquels Simone Gbagbo, Charles Blé Goudé, Don Mélo ou encore Jean-Louis Billon. Leur engagement dans la compétition confère une légitimité au scrutin et réduit mécaniquement l’impact du boycott. Car en l’absence des deux figures majeures, Ouattara pourrait revendiquer une victoire présentée comme « démocratique », face à des adversaires réels issus de grands partis.
Au sein du PDCI, des voix plaident déjà pour un « Plan B », avec le soutien à Jean-Louis Billon, qui a obtenu les parrainages nécessaires et incarne une alternative crédible. Mais une telle option accentuerait les divisions internes dans un parti déjà affaibli par ses absences aux présidentielles de 2015 et 2020. Un boycott prolongé pourrait ainsi marginaliser davantage le PDCI et le PPA-CI, laissant au RHDP le champ libre pour consolider son emprise institutionnelle.
En définitive, le boycott de Thiam et Gbagbo est un cri de défiance plus qu’une stratégie aboutie. Sans capacité à perturber le scrutin ou à fédérer un soutien international, il risque de se limiter à un geste symbolique, lourd de conséquences pour leurs partis respectifs. L’histoire récente démontre qu’en Côte d’Ivoire, la politique de la chaise vide profite rarement à l’opposition. Pour transformer leur colère en force politique, le « Front Commun » devra dépasser la rhétorique et inventer de nouvelles formes de mobilisation, sous peine de voir Alassane Ouattara aborder l’échéance d’octobre avec un avantage décisif.
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