Par La Rédaction | lementor.net
L’échange épistolaire entre les avocats de Tidjane Thiam et l’État ivoirien devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU a provoqué une vague d’interprétations opposées. À trois mois de la présidentielle ivoirienne, cette bataille juridique cristallise les tensions autour de l’exclusion de plusieurs figures de l’opposition, dont celle du président du PDCI, écarté de la liste électorale. La décision provisoire de l’organe onusien, tombée le 29 juillet, a laissé les deux camps revendiquer un même courrier comme un point de victoire.
Le Comité a rejeté la demande de mesures provisoires visant à imposer l’inscription immédiate de M. Thiam sur la liste électorale. Cependant, il a invité l’État ivoirien à « prendre toutes les mesures nécessaires » pour lui permettre d’exercer ses droits politiques, conformément à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ce langage nuancé a suffi pour que l’entourage de Tidjane Thiam y voie un signal clair en faveur d’un retour dans la course présidentielle. Pour ses avocats, cette position implique une obligation morale de garantir à leur client l’accès au scrutin d’octobre. « Il s’agit d’un rappel à l’ordre de la plus haute instance en matière de droits de l’homme. La Côte d’Ivoire est désormais interpellée au regard de sa crédibilité démocratique », plaide Me Mathias Chichportich.
La réponse du gouvernement n’a pas tardé. Le porte-parole, Amadou Coulibaly, a dénoncé « une affabulation totale ». Selon lui, la décision onusienne ne remet nullement en cause la législation ivoirienne qui encadre les conditions d’éligibilité. Le Comité, rappelle-t-il, ne s’est pas prononcé sur le fond de l’affaire ni sur la recevabilité des arguments. L’avocat de l’État, Me Jean-Marc Fedida, affirme de son côté qu’il s’agit en réalité d’un revers juridique pour la défense de Thiam, dont la demande expresse a été rejetée. Selon lui, la radiation prononcée par les juridictions ivoiriennes, notamment en application de l’article 48 du Code de la nationalité, reste pleinement valide.
Au cœur de ce contentieux, la double nationalité de l’ancien ministre ivoirien, naturalisé français en 1987, puis redevenu ivoirien après sa renonciation à la nationalité française en mars 2025. Trop tard, selon les autorités électorales, pour figurer sur la liste définitive de juin. Une position qui touche d’autres figures de l’opposition, également écartées, comme Laurent Gbagbo, Guillaume Soro ou Charles Blé Goudé.
Dans cette joute interprétative, la vérité judiciaire reste suspendue à la décision finale du Comité, attendue courant 2026. En attendant, le débat politique est relancé. Pour les soutiens de Thiam, l’État est désormais placé sous surveillance internationale. Pour le gouvernement, la souveraineté nationale et la règle de droit priment sur les pressions extérieures. Le scrutin d’octobre se profile ainsi dans une configuration inédite : un candidat du pouvoir en piste pour un quatrième mandat, et une opposition fragmentée, dont plusieurs ténors sont privés de participation effective.
L’affaire Thiam devient dès lors plus qu’un litige juridique : elle est le révélateur d’un débat plus vaste sur la vitalité démocratique du pays, la transparence du processus électoral et l’équilibre entre légalité nationale et droit international. Le verdict de l’électorat, lui, sera peut-être moins juridique que symbolique.
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