Par Jean Pierre Assa
Et si l’avenir énergétique de la Côte d’Ivoire passait par ses champs ? C’est le pari que semble faire le gouvernement en signant, ce 4 juin 2025, un protocole d’accord avec Eni Natural Energies, filiale du géant italien Eni. Objectif : développer une filière locale de production d’huiles végétales destinées au bio-raffinage, dans une logique de transition énergétique et de valorisation du secteur agricole.
Le projet se veut ambitieux. Il s’agit de promouvoir des cultures comme le ricin, le tournesol ou encore certaines espèces oléagineuses locales, capables d’alimenter les raffineries d’Eni pour produire des biocarburants. Le tout dans un cadre respectueux de l’environnement, sans empiéter sur les cultures vivrières ni aggraver la déforestation. Sur le papier, c’est un modèle vertueux : moins de dépendance au pétrole, plus de revenus pour les petits exploitants, et une contribution directe aux engagements climatiques de la Côte d’Ivoire.
Mais au-delà de l’effet d’annonce, de nombreuses questions restent en suspens. Quelle sera la place des producteurs locaux dans la chaîne de valeur ? Seront-ils de simples fournisseurs sous contrat ou de véritables partenaires avec un pouvoir de négociation ? Comment seront fixés les prix d’achat des récoltes ? Et surtout, l’État ivoirien jouera-t-il un rôle actif de régulateur ou se contentera-t-il d’un rôle d’accompagnateur ?
Les précédents dans la filière cacao ou coton ont montré à quel point les agriculteurs peuvent être fragilisés par des chaînes de production contrôlées par des multinationales. Cette fois, pour que la dynamique soit durable, le partenariat avec Eni devra s’accompagner d’un encadrement strict : transparence des contrats, équité dans les revenus, accompagnement technique, et mécanismes de protection contre la volatilité des marchés internationaux.
Du côté gouvernemental, on affirme que des dispositifs de sécurisation sont en cours de discussion. Des coopératives agricoles pourraient être intégrées dès la phase pilote. Des formations seront également dispensées, en lien avec les nouveaux centres techniques annoncés récemment, afin d’assurer une montée en compétence des jeunes agriculteurs.
Sur le fond, ce partenariat révèle une vision nouvelle : celle d’une Côte d’Ivoire qui ne se limite plus à exporter ses matières premières brutes, mais qui entend s’inscrire dans les chaînes de production à haute valeur ajoutée. Le bio-raffinage offre à ce titre une opportunité stratégique. À condition que les bénéfices de la transition énergétique soient partagés, et non captés uniquement par les acteurs les plus puissants.
Ce projet pourrait ainsi incarner un tournant : celui d’une agriculture intelligente, connectée aux enjeux mondiaux de décarbonation, mais enracinée dans les réalités locales. Une agriculture qui nourrit, qui rapporte, et qui éclaire — au sens propre comme au figuré.
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