Par AN | Lementor.net
Depuis plusieurs mois, l’expression « dette cachée » s’impose comme l’un des sujets les plus sensibles du débat public sénégalais. Le thème, à la croisée des enjeux techniques et politiques, a pris une telle ampleur que même l’ancien président Macky Sall a dû s’en défendre publiquement, visiblement étonné par l’accusation.
Que signifie réellement “cacher une dette” ?
À première vue, l’idée paraît improbable : une dette publique est censée suivre des procédures rigoureuses contrats, signatures officielles, circuits bancaires, contrôles institutionnels. Pourtant, dans la pratique, des engagements financiers peuvent ne pas apparaître immédiatement dans les chiffres officiels, créant une illusion de stabilité budgétaire alors que la situation réelle est plus fragile.
Au Sénégal, trois mécanismes sont régulièrement mis en avant pour expliquer comment certaines obligations financières ont pu échapper aux radars officiels.
Quand les entreprises publiques empruntent à la place de l’État
Des entités comme Senelec, Petrosen ou AIBD peuvent contracter des prêts pour des projets d’infrastructures. Tant que ces entreprises honorent leurs remboursements, rien n’apparaît dans les comptes nationaux. Mais dès qu’elles rencontrent des difficultés, l’État doit absorber leurs dettes. Ces engagements, bien que publics, ne figurent dans le budget qu’à retardement, transformant en passifs officiels ce qui semblait être de simples emprunts d’entreprises.
Les paiements différés : un engagement invisible
Certains projets sont financés selon le principe « réalisation immédiate, paiement lointain ». Cette formule, fréquente dans les grands chantiers, n’est pas problématique en soi. Ce qui pose question, c’est l’absence d’enregistrement immédiat de la totalité de l’engagement. Les comptes publics apparaissent alors artificiellement légers, alors que les obligations financières futures sont lourdes et déjà scellées.
Les factures impayées qui s’accumulent
Retarder le règlement des fournisseurs et prestataires peut temporairement alléger la trésorerie publique. Mais ces retards génèrent des intérêts, pénalités et compensations diverses. Si ces charges ne sont pas répertoriées avec précision, la dette réelle se creuse discrètement, aux dépens de la crédibilité budgétaire de l’État.
Une dette officieuse qui atteint des niveaux inquiétants
Selon les premières observations des nouvelles autorités, plusieurs poches d’endettement non prises en compte auraient été découvertes : retards de paiement, engagements différés, passifs lourds dans les entreprises publiques, compensations financières non réglées. Le cumul représenterait plusieurs milliers de milliards de francs CFA.
Conséquences directes : dégradation des finances publiques, gel de certains projets, inquiétude des créanciers, durcissement des discussions avec le FMI au point, selon le gouvernement actuel, que certaines négociations auraient été suspendues le temps d’obtenir une image exacte de la situation.
Transparence ou bataille politique ?
Le gouvernement actuel assure que rendre ces informations publiques est indispensable pour éviter une révélation brutale sous pression des bailleurs, ce qui pourrait faire exploser les taux d’emprunt. L’argument est aussi politique : expliquer les difficultés économiques actuelles en les reliant à la gestion antérieure.
De son côté, Macky Sall conteste fermement l’idée même de dette dissimulée, rappelant que toute dette extérieure doit transiter par la BCEAO, la Cour suprême, les dispositifs de contrôle et les bailleurs internationaux. Pour lui, il est impossible que des engagements importants échappent à toutes ces instances. Il demande donc que les preuves soient publiées : montants, documents, sources.
Une polémique qui dépasse la technique
La controverse intervient dans un contexte régional bouleversé : montée des régimes militaires au Sahel, création de l’Alliance des États du Sahel, repositionnement de la CEDEAO. L’ancien président, devenu plus diplomatique, regrette la fracture entre les pays mais prône le maintien de la coopération économique et sécuritaire.
La question de la dette cachée n’a donc rien d’un simple débat comptable : elle touche à la confiance des bailleurs, à la santé des entreprises locales dépendantes des paiements publics, à la stabilité sociale et à la réputation financière du Sénégal.
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