Par AN | Lementor.net
Depuis la présidentielle camerounaise du 12 octobre 2025, Issa Tchiroma Bakary vit une cavale politique qui traverse les frontières. Deuxième selon les résultats officiels, devenu l’adversaire le plus exposé du président Paul Biya, l’ancien ministre mène désormais une fuite silencieuse, ponctuée d’exfiltrations improvisées, de soutiens régionaux et de négociations encore sans issue.
Après un premier repli au Nigeria, Issa Tchiroma a trouvé un refuge provisoire en Gambie depuis le 7 novembre. Banjul évoque un accueil « humanitaire et temporaire », sur fond de tensions postélectorales persistantes au Cameroun. L’opposant est toléré mais surveillé, dans un cadre diplomatique fragile.
Contrairement aux rumeurs qui l’annonçaient en Europe ou aux États-Unis, Issa Tchiroma avait quitté Garoua dès l’annonce des résultats. Il s’était réfugié à Yola, dans l’État nigérian de l’Adamawa, où il a installé son premier quartier général hors du Cameroun. Là, il a continué à revendiquer sa « victoire volée », publiant appels à la résistance, positions politiques et même des déclarations signées sous le titre de « président élu ».
Son départ précipité avait été provoqué par plusieurs tentatives d’arrestation. Dans la foulée, son épouse Aminata Tchiroma Müller avait elle aussi fui Garoua après des semaines de clandestinité. Cachée dans une résidence familiale, elle n’était en contact qu’avec sa nièce, chargée de la ravitailler et de gérer les transferts d’argent. Les services de sécurité camerounais ont envahi leur domicile le lendemain de sa fuite, sans savoir qu’elle avait déjà franchi la frontière. Seul son téléphone laissé actif a permis de reconstituer partiellement leurs déplacements, déclenchant des contrôles dans plusieurs hôtels de Yola.
À Yola, les autorités de l’Adamawa ont hésité sur son sort. Le gouverneur Ahmadu Umaru Fintiri aurait envisagé son arrestation avant de reculer, aucun mandat d’extradition n’ayant été transmis par Yaoundé. Une demande officielle, explique-t-on, aurait pu placer le Nigeria en position délicate vis-à-vis du régime camerounais.
L’opposant, désormais conseillé par l’avocate Alice Kom, a alors été invité à réduire ses apparitions publiques. Son environnement immédiat s’est resserré, tandis que sa sécurité a été confiée à un réseau mêlant anciens militaires camerounais, notables peuls, militants transfrontaliers et membres du Tabital Pulaaku. Plusieurs personnalités du nord du Nigeria — parmi lesquelles l’émir de Kano, Muhammad Sanusi II, et l’émir de Bornou ont discrètement soutenu sa protection.
Avec l’intensification des arrestations au Cameroun visant ses proches, les conditions de sécurité se sont dégradées. La nièce et le neveu de son épouse ont notamment été interpellés. Les autorités soupçonnaient Aminata d’être en lien étroit avec l’homme d’affaires nigérian El Hadj Ba Iya, présenté comme l’un des soutiens financiers de l’opposant. C’est dans le véhicule du fils de ce dernier que Tchiroma avait initialement quitté Garoua le 12 octobre.
Face à la pression, l’opposant a quitté Yola et mis le cap sur la Gambie le 7 novembre.
La Gambie n’a confirmé son arrivée que le 23 novembre, évoquant un accueil exceptionnel et limité dans le temps. Selon Banjul, des discussions sont en cours avec Abuja et Yaoundé pour tenter d’apaiser la crise postélectorale camerounaise. Aucun détail n’a filtré.
L’avenir immédiat d’Issa Tchiroma Bakary reste flou : sa présence en Gambie est tolérée mais sans garantie de longévité. Au Cameroun, ses partisans évitent toute déclaration publique, tandis que les enquêtes et interpellations se poursuivent.
Pour Tchiroma, ce nouvel exil n’est qu’une étape de plus dans une trajectoire politique constamment marquée par les ruptures et les confrontations avec le pouvoir.
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