Par La Rédaction – lementor.net
Ce qui aurait dû être une mission professionnelle ordinaire s’est mué en ce que de nombreux observateurs qualifient de « rendue illégale » par la Côte d’Ivoire. Le journaliste béninois Hugues Comlan Sossoukpè, réfugié politique reconnu au Togo, a été interpellé à Abidjan dans des conditions opaques, puis extradé vers le Bénin sans passer devant un juge, en violation flagrante des droits fondamentaux garantis aux réfugiés et journalistes.
Un piège sous couvert d’invitation officielle
Invité par le ministère ivoirien de la Transition numérique et de la Digitalisation pour couvrir un salon régional sur l’innovation digitale, le directeur du média en ligne Olofofo, reconnu pour ses enquêtes à haute portée, arrive en Côte d’Ivoire le 8 juillet 2025. Il loge à l’hôtel Palm Beach d’Abidjan, établissement affilié au Fonds de prévoyance militaire. Dès l’ouverture du salon, il entame sa couverture comme prévu.
Mais dans la soirée du 10 juillet, plusieurs agents de police frappent à sa chambre. Il résiste d’abord, puis accepte de les suivre après qu’on lui a promis une présentation devant un juge. Il n’en sera rien. Sossoukpè est immédiatement conduit dans le salon d’honneur de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny — une zone réservée aux personnalités officielles — puis embarqué dans un avion privé direction Cotonou, escorté par des policiers. À aucun moment, il ne sera présenté à une autorité judiciaire ivoirienne.
Une extradition contraire aux obligations internationales
Pourtant, le statut de réfugié politique de Hugues Sossoukpè ne fait aucun doute : il est inscrit dans son passeport, délivré par les autorités togolaises. Ce statut implique des droits stricts de protection régis notamment par la Convention de Genève de 1951, à laquelle la Côte d’Ivoire est partie. Cette convention interdit formellement la reconduite d’un réfugié vers un pays où sa vie ou sa liberté est menacée sans procédure contradictoire.
Le principe de non-refoulement, pilier du droit international des réfugiés, semble ici avoir été bafoué. En ne le présentant ni à un juge, ni à une instance administrative compétente, les autorités ivoiriennes se sont écartées des pratiques établies, laissant place à ce que certains juristes qualifient déjà d’extradition déguisée, voire d’enlèvement administratif.
Une procédure discrétionnaire et opaque
Le fait que le journaliste ait été emmené via le salon d’honneur, puis embarqué dans un avion privé affrété pour l’occasion, souligne le caractère exceptionnel – et troublant – de cette procédure. Ce traitement réservé aux invités de marque contraste violemment avec la réalité de son transfert : une expulsion sans procès, sans notification officielle et sans possibilité de recours.
Le journaliste est désormais incarcéré à la prison de Ouidah, dans le sud du Bénin, après avoir été présenté à un juge qui lui a signifié des accusations de “harcèlement par voie informatique”, “rébellion”, et “apologie du terrorisme”. Des chefs d’accusation qualifiés de vagues et politiques par son avocat, Me Serge Pognon.
Silence et responsabilités partagées
Contactés par Reporters Sans Frontières (RSF), ni le gouvernement ivoirien ni les organisateurs du salon n’ont fourni de justification sur les conditions d’interpellation et d’extradition. Le porte-parole du gouvernement béninois, de son côté, a assuré que le journaliste “répondra des accusations portées contre lui” sans commenter la méthode par laquelle il a été ramené sur le territoire national.
Cette affaire soulève des questions majeures :
Pourquoi la Côte d’Ivoire, pays hôte d’un journaliste réfugié bénéficiant d’un statut protégé, ne l’a-t-elle pas signalé aux autorités togolaises ?
Pourquoi aucune procédure judiciaire ivoirienne n’a-t-elle été enclenchée avant sa remise aux autorités béninoises ?
Et surtout, à quel niveau cette opération a-t-elle été décidée ?
Un précédent inquiétant pour les journalistes réfugiés
Alors que la Côte d’Ivoire se targue d’être un bastion de liberté de la presse en Afrique de l’Ouest, cette affaire fait tache. Elle installe un climat de méfiance pour les journalistes en exil, souvent en transit ou en couverture dans la région. À l’heure où les menaces numériques, les campagnes de désinformation et la répression judiciaire se multiplient, le rôle des États dans la protection des voix dissidentes devient crucial.
Livrer un réfugié sans procès, sans transparence et sans respect des engagements internationaux constitue une atteinte grave au droit d’asile, mais aussi un avertissement glaçant pour tous ceux qui osent enquêter sur les pouvoirs en place.
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