Si la Zone AES s’est d’abord constituée autour d’une urgence sécuritaire et d’un discours de rupture politique, ses dirigeants affichent aujourd’hui l’ambition d’en faire également un espace d’intégration économique. À travers leurs discours et certaines initiatives concrètes, le Mali, le Burkina Faso et le Niger affirment vouloir bâtir une coopération fondée sur les échanges commerciaux, la circulation des biens et des personnes, et le développement d’infrastructures partagées. Mais sur le terrain, cette intégration est encore balbutiante.
L’un des sujets les plus sensibles est celui de la monnaie. Les trois pays ont exprimé leur volonté de sortir du franc CFA, considéré comme un symbole de dépendance économique vis-à-vis de la France et de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Des annonces ont été faites en ce sens, notamment au Mali et au Burkina Faso, évoquant l’étude d’une monnaie commune au sein de l’AES. Pour l’heure, aucune décision opérationnelle n’a été actée, mais des groupes d’experts sont à l’œuvre pour évaluer les scénarios possibles. Le défi principal reste de créer une devise crédible, stable et gérable dans un contexte économique fragile.
Sur le plan commercial, les échanges entre les trois pays sont historiquement modestes et souvent entravés par les réalités du terrain : routes dégradées, insécurité, contrôles multiples et manque d’interopérabilité administrative. Toutefois, la sortie de la CEDEAO a créé un besoin de compensation et de redéfinition des circuits économiques. Des corridors commerciaux sont en cours de revalorisation, notamment entre Ouagadougou, Bamako et Niamey, avec l’objectif de favoriser les flux régionaux. Des exonérations fiscales bilatérales, des conventions douanières simplifiées et des plateformes de coordination logistique commencent à voir le jour, bien qu’à un rythme inégal.
L’ambition infrastructurelle reste un pilier central du projet AES. Les trois pays sont enclavés et partagent les mêmes contraintes géographiques. Une réflexion commune est en cours autour de la réhabilitation de routes stratégiques, du développement ferroviaire transfrontalier et de la sécurisation des échanges énergétiques, notamment à travers des barrages hydroélectriques partagés et des interconnexions électriques. La Banque ouest-africaine de développement n’étant plus perçue comme un partenaire prioritaire, les États se tournent vers d’autres bailleurs, notamment la Chine, la Russie et les Émirats, pour financer leurs projets.
Malgré les annonces, le processus d’intégration économique au sein de la Zone AES reste à ses débuts. Il manque encore des institutions communes, des mécanismes de régulation et un cadre juridique harmonisé. Toutefois, la volonté affichée par les dirigeants et la pression des réalités économiques pourraient accélérer le mouvement. Le pari est audacieux : construire en quelques années une dynamique économique propre dans un environnement régional marqué par la défiance et les bouleversements. L’avenir dira si cette orientation pourra aboutir à une véritable union économique du Sahel.
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