Deux Ans Apres La Chute D’Amade: Ce Qui Se Passe Dans Le Parc Du Mont Péko

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La question du déguerpissement des occupants du parc du Mont Péko, sujet dʼactualité majeur en Côte dʼIvoire, qui avait, en 2013, défrayé la chronique après lʼarrestation dʼun certain Amadé Ouérémi, et qui était au cœur du dernier Traité dʼamitié et de coopération (TAC) ivoiro-burkinabé en fin juillet 2014, nʼa pas connu dʼavancée notable. Ecartelés entre la perspective dʼun départ annoncé et la survie quʼimpose lʼattente du moment fatidique, les clandestins de fait et les autorités locales nʼont pas de meilleurs rapports. La pomme de discorde : la commercialisation des produits agricoles issus du parc. Nous avons tenté, en nous rendant dans la région, de comprendre les tenants et les aboutissants de cette crise larvée, aux relents de bombe à retardement. Notre reportage.

Mardi 10 février 2015, après quatre heures de route à moto à travers des pistes de contournement des voies principales, où se dressent des barrages de fortune des agents des eaux et forêts et des Forces républicaines de Côte dʼIvoire (FRCI), nous arrivons dans le village de Nidrou, dans la sous-préfecture de Bagohouo. A cette étape de notre chemin, à 17 km du parc du Mont Péko, notre guide, S.O., nous signifie quʼil nʼest plus en mesure de continuer avec nous. Raison évoquée : « Si nous croisons quelqu’un qui vous voit avec moi, il conclura facilement que vous venez fourrer votre nez dans la situation du mont Péko. Il nʼaura plus quʼà prévenir les agents aux différents barrages pour nous empêcher de passer», explique-t-il. Surpris par ce brusque coup dʼarrêt, nous essayons de le convaincre de trouver une autre solution, parce quʼil fallait coute que coute y aller pour ne pas compromettre notre reportage. Après quelques hésitations, il finit par faire appel à lʼun de ses hommes sûrs, aussitôt accouru, ce dernier nous remorque sur sa moto. Mais notre soulagement allait être de courte durée. Le« pompier » de fortune ne nous mènera pas bien loin. A 300 mètres dʼun corridor, à son tour, il nous fait descendre de son engin, mais nous nʼavons pas le temps de sombrer à nouveau dans le découragement quʼil nous confie à un autre contact, un cycliste cette fois. Mais la bicyclette ne nous servira pas à grand chose, puisque cʼest à pieds cette fois que nous entreprenons de contourner le corridor par un chemin détourné. Nous nous engouffrons alors dans un champ de cacao pour déboucher sur un campement presquʼà lʼabandon. Notre nouveau guide nous apprend que ces cases abandonnées appartenaient à un planteur burkinabé, rentré depuis au pays après avoir été chassé parc. Au bout dʼune vingtaine de minutes de marche en pleine brousse, nous voilà à la lisière du parc. Devant nous, se dressent alors de vastes champs de cacao, qui sʼétendent à perte de vue. « Voyez vous, toute la forêt ici a été transformée en plantations de cacao. Celui qui dit que nous faisons de nouveaux champs ne dit pas la vérité», témoigne notre interlocuteur, qui nous invite aussitôt à prendre le chemin du Mont Péko.

Des ponctions sur les revenus des clandestins

Quelques instants après, revoilà notre premier guide, le vrai. Nous voilà aussi à nouveau embarqué sur la moto, derrière nous, comme une sentinelle, le cycliste qui nous suit, veille au grain. Tous deux sont des planteurs. Depuis quʼils ont été chassés du parc national du Mont Péko, entre mai et juin 2014, lʼun vit à Nidrou et lʼautre à Dahably. Cʼest donc de fins connaisseurs de cette forêt, qui nʼosent pas cependant sʼy aventurer à visage découvert. Ils craignent dʼêtre repérés par les agents de lʼOffice ivoirien des parcs et réserves (OIPR), dont les éléments un peu partout sur le qui-vive. Cʼestdoncàunjeudecache-cachepermanentque nos deux guides, dont lʼun à une plantation de 7 ha et lʼautre de 5ha toutes créées en 2008, sont obligés de sʼadonner avec les agents de lʼOIPR pour se rendre quotidiennement à leurs plantations situées non loin du corridor, à lʼentrée du parc. Si nos deux guides ont pu intégrer des villages riverains avec leur famille, il nʼen est pas de même pour lʼécrasante majorité des planteurs burkinabè et autres allogènes, qui continuent de vivre dans leur plantation, en cachette. « Nous vivons, mon mari, mes enfants et moi dans la peur et le stress », affirme Sali Sawadogo, dont le conjoint était absent à notre passage. A quelques encablures de là, se trouve un jeune prénommé Seydou. Lui aussi dit vivre dans la peur quotidienne. «Ici chacun est sur ses gardes. Même les bruits des motos nous font fuir. Quand vous veniez, jʼai pensé que cʼétait les agents de lʼOIPR.Cʼest lorsque je suis sorti de ma cachette et que je vous ai vu avec mon frère, que je suis venu », témoigne-t-il. Selon plusieurs sources, le nombre de ces clandestins serait entre 27.000 et30.000 hommes, femmes et enfants. Comment donc et de quoi vit tout ce monde. Installés dans le parc à la faveur de la crise militaro-politique entre 2002et 2005, les clandestins, majoritairement des ressortissants du Burkina Faso, ont dû transformer le parc en des plantations de cacao et de café. « Nous avons trouvé un parc sans protection où nous nous sommes refugiés parce quʼaucun village autour nʼavait envie de nous voir. Le parc était donc notre seul refuge. Cʼest ainsi que nous avons fini par créer ces plantations pour survivre», explique Lamoussa Raogo, lʼun des plus anciens habitants de cette forêt. Selon ce dernier, tout ce monde était sous la régence dʼAmadè Ouérémi (soupçonné de crimes et mis aux arrêts en mai 2013). A lʼen croire, sous Ouérémi, les clandestins levaient des cotisations à chaque traite cacaoyère pour lui, afin de bénéficier de sa protection. Des contributions quʼil estime à des dizaines de millions, mais qui garantissaient un certain confort sécuritaire pour toute la population du parc. Car après lʼarrestation de lʼhomme, les clandestins allaient faire face à la répression des agents de lʼOffice ivoirien des parcs et réserves et des Forces républicaines de Côte dʼIvoire. «Ils ne veulent pas nous voir dans le parc alors que nous avons des plantations àlʼintérieur. Chaque fois quʼils prennentlʼun des nôtres, nous devons cotiser pour le faire libérer. Et quand nous parlons de ces choses avec les journalistes, ils menacent de détruire nos plantations», poursuit Lamoussa, avant de soupirer : « Nous savons que nous allons partir de ce parc qui nʼest pas un lieu dʼhabitation, mais nous souhaitons pouvoir vendre nos produits de nos récoltes en cours et nous en aller».En effet, le souhait exprimé par tous les clandestins que nous avons rencontré, est de pouvoir vendre leurs produits des récoltes en cours avant de quitter les lieux. Mais selon eux, la commercialisation des produits issus du parc, depuis octobre 2014, fait lʼobjet dʼune organisation décriée. Quʼils aient été accueillis dans les villages des départements de Bangolo ou de Duékoué, les planteurs burkinabè qui continuent dʼexploiter leurs plantations, se disent abusés parle fait quʼils sont contraints de vendre leur cacao à 750 FCFA le kilogramme au lieu de 850 FCFA bord-champ fixés par le gouvernement. Dʼautant que, selon eux, la différence de 100 FCFA est versée par lʼacheteur aux corridors ditsʻʼports secsʼ tenus conjointement par des agents de lʼOIPR et des civils appelés «Points focaux ». « Personn e nʼéchappe à cette règle. Ma dernière vente remonte à 20 jours (ndlr : fin janvier2015), jʼavais recueilli 27 sacs ce qui représentait 2,3 tonnes. Mais le kg a étéacheté à 750 FCFA», se lamente S.Michel. Quant à K. Alain, propriétaire dʼune plantation de 8 ha depuis 2009 et vivant à Sibably, il affirme avoir également vendu son cacao pour la dernière fois, le 03 février 2015, à 750f/kg, à un acheteur venu de Pona dans la sous préfecture de Pona-Vahi (Duekoué).

A travers huit ports secs de vente des produits agricoles

Selon les clandestins interrogés, le comité de gestion du parc mis en place en septembre 2014 a imposé la création de 8 ports secs tenus par seize ʻʼPoints focauxʼ. Une information confirmée parles riverains et que nous avons pu constater de visu. « Cette année, les autorités locales ont décidé que le cacao sʼachète à 750 FCFA le kg en brousse. Et à la sortie au niveau des ports secs, vous payez la somme de100 FCFA par kg aux ʻʼPoints focauxʼ.Cela veut dire que si vous avez acheté2 tonnes de cacao, vous payez au niveau du port sec la somme de200.000 FCFA», dénonce K. Mamadou, un acheteur. Ce dernier affirme avoir vu son camion bloqué par lʼOIPR un jour, parce quʼaprès avoir acheté le cacao en brousse, il ne lui restait plus dʼargent pour payer ce quʼon pourrait qualifier « dʼimpôt ». « En provenance de Nidrou, je devais payer la somme500 000 FCFA au port sec qui est à lʼentrée du parc. Puisque je nʼavais plus dʼargent, jʼai demandé aux ʻʼPoints focauxʼ de me laisser passer avec mon produit et que je viendrais mʼacquitter de ma dette plus tard. Ils ont refusé et ont bloqué mon camion. Jʼai dû aller chercher de lʼargent à Duékoué avant de pouvoir partir avec le véhicule», déplore t-il. Le comble, selon nos interlocuteurs, cʼest que pour ces sommes versées, aucun reçu nʼest remis en retour. Et de conclure que ceux qui ont érigé ce système ne veulent sûrement pas laisser de trace. Mais bien plus que des soupçons, les faits crèvent les yeux. Et les acheteurs sont bien obligés dʼaller fabriquer des reçus dʼachats au prix normal hors du parc pour commercialiser les produits. « Au début, on donnait des reçus de 850f/kg et on disait aux paysans que les 100f/kg se trouvaient avec les responsables des ports secs. On lʼa fait deux fois.

Le mutisme des mis en cause

Les agents de lʼOIPR qui ont su cela ont menacé de détruire leurs plantations.Cʼest pourquoi nous ne donnons plus de reçu. Nous informons les responsables des ports secs de la quantité de cacao que nous avons eue, nous payons ce cacao aux paysans sans reçu et nous donnons les parts des responsables des ports secs», explique K. Adama, un acheteur de produits à Petit Guiglo. En dépit des efforts des acheteurs de produits, qui ne délivrent pas de reçus dʼachat pour ne pas voir les champs des paysans détruits, les agents de lʼOIPR ont mis leur menace à exécution. La commercialisation du cacao dʼoctobre 2014 à ce jour a causé de nombreuses tensions dans le parc. Ceux qui refusaient de se plier au prix de vente fixé par le comité de gestion du parc, ont été expulsées, ou ont vu leurs plantations détruites dans le parc. «Beaucoup sont rentrés au pays à ce jour et nʼont pu récolter leurs produits. Quand ils ont fait les ports secs, ils ont commencé à payer le cacao à 650francs. Nous nous sommes révoltés. Puis ils ont augmenté le prix à 750f/kg», temoigne M. Simporé. Au sein du parc, nous avons pu constater plusieurs champs en production détruites par les agents de lʼOIPR. « Ici, ils sont les seuls qui peuvent ordonner la destruction dʼun champ si vous avez un problème avec eux. Mais, ils ne vous diront jamais la vraie raison. Ils vous diront toujours que ce sont de nouveaux champs en création et quʼils étaient en droit de les détruire », explique Simporé. Selon les informations recueillies surplace, le prélèvement des 100 FCFA avait fini par révolter les clandestins quisʼétaient rendus le 08 janvier 2015, à la gendarmerie de Duékoué pour dénoncer le système. « La gendarmerie a convoqué deux ʻʼPoints focauxʼ, Vincent Bingouré et Sana Mamadou, pour les entendre. Mais ils nʼont pas été inquiétés. Le lendemain, lʼOIPR est venu détruire les plantations de 9 des 26 personnes qui sont allés porter la plainte à la gendarmerie. A ce jour, lʼun des plaignants est détenu à Man. Il sʼappelle Zongo Roméo », indique Simporé. Le13 janvier 2015, suite à cet incident, une note préfectorale N°01RG/PDKE/CAB, portant interdiction de pénétration dans le parc national du Mont Péko est prise et et portée à la connaissance des responsables des clandestins. Pour Boukary Kaboré, lʼun des responsables des occupants du parc, ce qui y prévaut doit interpeller les autorités. «Les occupants du parc sont installés dans les villages riverains et vivent dans la psychose. Ils ont accès difficilement à leurs plantations, toutes les pistes sont occupées, verrouillées par des barrages. Leurs produits sont vendus à bas prix. Leurs plantions sont chaque fois détruites et les cases incendiées. Le gouvernement doit décider quelque chose dans lʼurgence pour prévenir le pire», plaide-t-il. Pour lui, tous les clandestins sont disposés à partir du parc, une fois quʼune date précise sera déterminée et un site de recasement trouvé. Toutefois, ce dernier craint que les prélèvements sur leurs revenus ne contrarient les chances dʼune reconversion de ces populations.

Du côté de lʼadministration à Duékoué, personne ne veut évoquer le sujet de la vente du cacao du Mont Péko. Accusé dʼabus sur les occupants du parc, nous nous sommes tournés vers le capitaine de lʼOIPR, M. Ouattara Kolo, dont le nom revient sur toutes les lèvres, en vain. « Je ne peux pas en parler. Referez-vous à ma hiérarchie», nous coupe t-il au téléphone, le mercredi 11 février2015, lorsque nous lʼavons joint. Le comité de gestion du parc étant présidé par le Préfet de région, M. Sangaré Sory, dont on attribue la paternité des ports secs mis en place, nous tentons dʼobtenir un rendez-vous avec lui. Mais àlʼénoncé du sujet du prélèvement des100FCFA sur le revenu des clandestins, lʼautorité se met en colère. Se montrant même menaçant à notre égard. Nous le rassurons de notre bonne foi et de notre volonté à rétablir la vérité. En vain. De guère lasse, nous laissons nos coordonnées à son chef de cabinet en insistant pour avoir sa version des faits. En fin de journée, le 11 février 2015, le préfet se décide enfin à nous recevoir, par le truchement de son chef de cabinet. Mais à une condition. «Il ne souhaite pas que soit évoquée la question du Mont Pékoni lʼaffaire de prélèvement sur le cacao. Il veut plutôt parler de la cohésion à Duékoué», prévient son chef de cabinet. Nous acceptons alors le ʻʼdealʼ, dans lʼespoir de pouvoir tirer quelques réponses de cette rencontre. Et fort heureusement, nous y parvenons. Car après avoir parlé de la cohésion, le préfet nʼa pu sʼempêcher de nous faire visiter une salle informatique où plusieurs personnes assises derrière des ordinateurs sʼattelaient à affiner les données delʼopération de recensement des populations du parc. « Vous voyez, il y a un travail qui est en train dʼêtre fait. Je transférerai ces données une fois terminées à Abidjan. Je ne veux pas me prononcer sur la vente du cacao. Je ne peux pas savoir si le cacao sort de là ou pas. Les responsables du café-cacao y sont. Ils pourront y répondre. Mais moi, je ne suis pas informé que le cacao se vend à 750FCFA. Le gouvernement lʼa fixé à 850FCFA. Et cʼest le prix qui est appliqué partout», se défend-il. Nous soumettons alors à son appréciation les destructions des champs par lʼOffice ivoirien des parcs et réserves. Là encore, la réponse de lʼautorité reste évasive : « Epargnez moi de tout cela. Je suis seul contre tous depuis lʼarrestation de Ouérémi. Ce que je peux vous dire, cʼest quʼil est interdit dʼentretenir les anciens champs et de faire de nouveaux défrichages. Cʼest pourquoi, lʼOIPR y assure la sécurité».Nous prenons alors congé du préfet de Duékoué avec plusieurs interrogations sans réponses.

Glodé Francelin

Le Patriote

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