Par La Rédaction – lementor.net
Le général Muhammadu Buhari, disparu des radars politiques après deux mandats présidentiels civils, incarne l’une des figures les plus contrastées de l’histoire contemporaine du Nigeria. Septième chef de l’État entre 1983 et 1985, puis quinzième président de la République de 2015 à 2023, il aura dirigé le pays à deux périodes charnières : d’abord dans la rigueur militaire, ensuite sous la bannière démocratique. Dans l’un et l’autre cas, son nom est resté associé à l’obsession de la discipline, à la lutte contre la corruption, mais aussi à une conception autoritaire de l’ordre.
C’est à l’âge de 41 ans que Muhammadu Buhari accède pour la première fois au pouvoir, à la faveur d’un coup d’État militaire qui renverse le président civil Shehu Shagari le 31 décembre 1983. Son jeune âge, confirmé récemment par son ancien aide de camp Bashir Ahmad dans un message relayé par de nombreux médias nigérians, ne l’empêche pas de mettre en place l’une des politiques les plus rigides jamais expérimentées au Nigeria moderne.
Son programme-phare reste à ce jour la fameuse Guerre contre l’indiscipline (War Against Indiscipline – WAI), lancée en mars 1984. Cette campagne visait, selon ses concepteurs, à redresser le comportement civique d’une société jugée moralement affaiblie. Sur le terrain, elle se traduisait par des scènes d’une sévérité spectaculaire : soldats en armes imposant des files d’attente aux arrêts de bus, sanctions humiliantes infligées aux fonctionnaires en retard, et peines extrêmes pour des délits mineurs. Dans les écoles, tout élève de plus de 17 ans pris en flagrant délit de tricherie risquait 21 ans de prison. Et dans les marchés, la contrefaçon alimentaire pouvait coûter la vie.
Buhari a également marqué son époque par son rejet frontal des institutions financières internationales. En refusant la dévaluation du naira exigée par le Fonds monétaire international (FMI), il prend le contre-pied de nombreux dirigeants africains, préférant assumer les conséquences économiques d’un isolement que de céder à ce qu’il considère comme une ingérence. Il s’entoure de décrets à portée très coercitive : gel des comptes bancaires par simple soupçon de fraude, tribunaux militaires spéciaux pour juger les détournements de biens publics, criminalisation extrême des trafics de devises, et peine de mort pour toute activité liée à la cocaïne ou autres drogues illicites.
Mais ce raidissement autoritaire, qui s’étendait aussi à toute expression d’opposition politique, finit par l’isoler au sein même de l’appareil militaire. En août 1985, le général Ibrahim Babangida orchestre un coup d’État et renverse Buhari. Une autre ère commence, celle des pillages massifs des fonds publics. Babangida, suivi de Sani Abacha, marquera à leur tour l’histoire pour des scandales de corruption d’une ampleur inédite.
Trois décennies plus tard, Buhari revient en politique, cette fois par la voie des urnes. Son élection en 2015 s’appuie sur la nostalgie d’un leadership moral perçu comme ferme et incorruptible, au moment où le Nigeria ploie sous les accusations de mauvaise gouvernance. Mais l’homme de 2015 n’est plus celui de 1984. Son deuxième passage au pouvoir sera marqué par la lenteur bureaucratique, des promesses inachevées et une lutte anticorruption qui, malgré quelques résultats, peinera à répondre aux attentes générées par son image de redresseur d’État.
La figure de Muhammadu Buhari reste clivante. Symbole d’intégrité pour les uns, autoritaire inflexible pour les autres, il appartient à cette génération de dirigeants africains façonnés par l’uniforme et convaincus que l’ordre précède la démocratie. Son legs, à la fois moral et controversé, est celui d’un homme d’État obsédé par la discipline, mais pris entre l’idéalisme du devoir militaire et les complexités d’une société civile en mutation constante.
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