Drôle de condamnation ! c’est l’exclamation qui a fusé la semaine dernière à l’issue du verdict rendu par la justice, dans l’affaire du braquage de l’antenne de la banque centrale de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) en janvier 2011. En pleine crise postélectorale, des proches de l’ex-chef de l’état, Laurent gbagbo, avaient violé les coffres de la BCEAO Abidjan pour s’emparer de près de 500 milliards de fcfa. Aké n’gbo, katinan koné et désiré dallo, sur instructions de Laurent gbagbo, avaient ordonné, dans la foulée de la réquisition des banques, de récupérer les fonds de la banque des banques pour, disent-ils, payer les salaires des fonctionnaires et protester, selon les termes de katinan koné, contre « la décision raciste » des banques commerciales françaises de fermer leurs succursales en côte d’ivoire pour des raisons de sécurité. Le verdict rendu depuis le jeudi dernier a intrigué plus d’un ivoirien. « Condamnés à 20 ans de prison sans mandat de dépôt », a décidé le tribunal pour l’ex-premier ministre et l’ex-ministre de l’économie et des finances de Laurent gbagbo. Quant à katinan koné, à l’époque ministre du budget et principal exécutant dans l’affaire, en exil au Ghana, un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui. Ces anciens barons du régime fpi ne sont pas les seuls à bénéficier de cette sentence exceptionnelle. Hubert oulaye, abou drahamane sangaré et bien d’autres cadres proches de l’ancien chef de l’état, Laurent gbagbo, ont également été condamnés à des peines sans avoir passé une seule nuit en prison.
Une autre façon de justice
Dans le milieu des victimes et de leurs proches, on s’interroge sur cette nouvelle façon d’entrevoir la justice. Mais « la justice est faite pour les hommes et par les hommes pour le bien-être de la société », rappelle un célèbre penseur. La justice ivoirienne est au fait des enjeux actuels de la société ivoirienne. Une société qui aspire à la paix et surtout à une réconciliation nationale. Consciente de son rôle capital dans la société, le temple de Thémis sait qu’il faut toujours tenir le glaive bien droit pour permettre à la balance de rester toujours en équilibre. Dans un souci d’apaisement, certaines peines attribuées à des proches de Laurent gbagbo impliqués dans les graves violations des droits de l’homme et dans les graves crimes économiques opérés lors de la crise postélectorale, ne sont pas systématiquement accompagnés de mandat de dépôt. Surtout pour les prévenus qui ne présentent pas de grands risques de se soustraire à la justice. Au-delà du souci d’apaisement, la décision des juges est également guidée par des raisons humanitaires. La plupart des prévenus dans les différentes affaires traitées en assises et dans les tribunaux sont des personnes d’un certain âge souffrant de graves pathologies qui nécessitent un suivi médical quasi-permanent. Pour éviter donc des drames dans les prisons ivoiriennes où le confort n’est pas la chose la mieux partagée, les juges préfèrent accorder une sorte de liberté surveillée aux coupables pour leur permettre de non seulement bénéficier des soins de leurs médecins, quand besoin se fait sentir. Mais aussi de donner l’opportunité à ces pères de famille de vivre au quotidien auprès de leurs progénitures et de leurs proches. La justice doit être au service de la réconciliation et non le contraire, comme le souhaitent certains hérauts d’une nouvelle forme de justice qui ne fera que le lit de l’impunité et préparer la voie à d’autres crimes plus graves dans l’avenir. Conduire les procès jusqu’au bout permet en même temps de faire droit aux victimes et de punir les victimaires. La réconciliation ne doit pas se faire au détriment des victimes. Il faut trouver le juste milieu pour permettre aux deux parties d’accepter le verdict et de pouvoir revivre encore en société.
Un devoir de mémoire et de vérité
Les événements qui se sont déroulés lors de la crise postélectorale sont suffisamment graves pour les inscrire au chapitre des pertes et profits. La société a un devoir de mémoire et de vérité envers les générations futures. La tragédie nationale qui s’est déroulée entre décembre 2010 et mai 2011 doit servir pour l’avenir. Le « plus jamais ça » ne doit pas être une profession de foi ou un slogan creux. Il doit avoir un vrai fondement. Cela passe nécessairement par la justice. C’est en cela que les procès en assises et devant les tribunaux revêtent toute leur importance. Tout le monde souhaite tourner la page. Mais avant de la tourner, il faut la lire entièrement, au risque de ne pas comprendre totalement la suite de l’histoire. Les procès ont cette vertu de faire connaitre le rôle joué par les accusés et leur degré d’implication. Ils participent à l’éclatement de la vérité, à travers les échanges entre les juges, l’accusation et la défense. Même si parfois, la justice n’y parvient pas toujours, mais elle permet au moins à chacun d’avoir un début de réponses à ses questions. Le travail des greffes et des historiens du présent que sont les journalistes permet de fixer et forger la mémoire collective qui sera transmise à la postérité. Aké n’gbo, hubert oulaye, désiré dallo, Michel gbagbo, affi n’guessan, Odette Lorougnon et les autres ne sont pas certes en prison. Mais les ivoiriens et les victimes savent désormais le rôle joué par les uns et les autres, lors de cette crise postélectorale qui a fait plus de 3000 personnes et fait perdre des centaines de milliards de fcfa à l’état de côte d’ivoire. C’est déjà cela l’essentiel. Le reste suivra.
Jean Claude Coulibaly
Le patriote