Par La Rédaction
Il arrive parfois qu’un débat s’enlise non pas à cause de sa complexité, mais en raison de sa fausse évidence. On crie au scandale, on brandit la morale, on convoque l’indignation publique comme s’il ne s’agissait que de justice et de bon sens. Et pourtant, plus on gratte, plus on observe, moins les choses sont nettes. L’affaire dite « Corsair » en est l’illustration parfaite : un nuage de fumée devenu feu de brousse, un bruit assourdissant autour d’une cible bien choisie.
La cible, c’est Kandia Camara. Présidente du Sénat. Femme d’autorité. Femme d’État. Femme tout court. C’est là, peut-être, que réside le nœud du problème. Car à écouter les cris, à lire les insinuations, à déchiffrer le sous-texte, il ne s’agit plus d’une convention logistique, mais d’un procès en légitimité. On ne discute pas un acte administratif. On met en accusation un parcours, une stature, une influence. Ce n’est plus un débat politique, c’est une opération d’effritement.
Ce qui dérange ici, ce n’est pas tant ce qui a été fait. C’est qui l’a fait. Une femme en position de force, qui ne s’excuse pas d’être là. Une femme qui dirige une institution républicaine, qui parle d’égal à égal dans un univers politique encore très masculin. Cela en agace plus d’un. Alors on cherche l’accroche. On la trouve. On s’y agrippe. Et on construit autour un récit commode où l’indignation joue le rôle de paravent.
Mais il y a dans cette indignation quelque chose de profondément sélectif. Un parfum d’hypocrisie flottante. Ceux qui crient à l’abus sont-ils toujours irréprochables ? Ceux qui dénoncent aujourd’hui n’ont-ils jamais profité hier ? Ceux qui montent au créneau pour défendre la morale politique, où étaient-ils quand d’autres silences bien plus lourds étaient observés ? Ce deux poids deux mesures qui consiste à condamner certains pour mieux couvrir d’autres n’est pas seulement injuste. Il est dangereux pour la démocratie.
Le plus troublant, dans cette affaire, c’est cette volonté tenace de réduire une femme à une affaire. De faire d’un sujet institutionnel un théâtre personnel. Comme si l’enjeu n’était pas la transparence, mais bien le discrédit. Comme si l’objectif n’était pas la vérité, mais l’usure. On ne cherche pas à comprendre. On cherche à fragiliser. Pas à réguler, mais à nuire.
Et pourtant, la démocratie ivoirienne mérite mieux. Elle mérite un débat adulte, structuré, qui ne se cache pas derrière des indignations passagères pour alimenter des frustrations anciennes. Elle mérite qu’on distingue les responsabilités individuelles des débats de fond. Elle mérite surtout qu’on cesse d’instrumentaliser les institutions quand cela sert des intérêts partisans.
Que l’on soit pour ou contre Kandia Camara n’est pas la question. Ce qui est en jeu ici, c’est la capacité à penser politiquement sans sombrer dans la manipulation émotionnelle. C’est notre faculté, collective, à ne pas céder aux réflexes faciles. C’est notre exigence citoyenne, à ne pas prendre la morale comme une arme, mais comme une ligne de conduite.
Oui, il faut de la rigueur. Oui, les responsables doivent rendre compte. Mais non, on ne peut plus accepter que la vertu ne serve que lorsque cela arrange certains camps. Ce qui tue la confiance dans la parole publique, ce n’est pas l’erreur. C’est l’injustice dans la manière dont on traite l’erreur selon qui la commet.
À force de tout transformer en scandale, plus rien ne le devient vraiment. Et pendant que l’on s’écharpe autour d’une cible choisie, on oublie les vraies urgences du pays. Voilà peut-être la plus grande hypocrisie de toutes.
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