Procès Du Vice-Président Kenyan A La CPI : L’Afrique Doit Se remettre En Cause

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Le Kenya de Uhuru Kenyatta envisage de se retirer du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI). Cette velléité de retrait trouve certainement ses raisons dans les déboires judiciaires de certains dirigeants kényans dont l’actuel président qui est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI. En effet, la volonté du parlement kényan de dénoncer le Statut de Rome est intervenu au moment où la CPI s’apprêtait à entendre, au sujet des violences post-électorales de 2008 ayant fait d’innombrables victimes, le vice-président kényan, en attendant l’audition du président Uhuru Kenyatta lui-même, prévue pour le mois de novembre prochain. Comme d’habitude, les pourfendeurs de la CPI n’ont pas manqué l’occasion de l’accuser de porter atteinte à la souveraineté du pays et d’avoir la particularité de ne traquer que des Africains.

Il y a quelque chose de moralement indécent à vouloir quitter une institution qu’on a Contribué, avec enthousiasme, à bâtir

En agissant de la sorte, les autorités kényanes ne font pas preuve de beaucoup de responsabilités. Ce n’est ni plus ni moins qu’un mauvais procès qui est fait à la CPI. Certes, comme toute œuvre humaine, la CPI n’est pas parfaite. Mais la qualité de son travail dépend, pour beaucoup, de la coopération des Etats membres qui l’ont mise en place dont le Kenya. Les dirigeants africains ont cette particularité d’adhérer, tambour battant, aux institutions et aux principes internationaux quand cela les arrange. Mais dès que leurs intérêts individuels sont menacés, ils se rebiffent et vont jusqu’à les désavouer. Il y a quelque chose de moralement indécent à vouloir quitter une institution qu’on a contribué, avec enthousiasme, à bâtir, juste parce que cette institution, dans le cadre de sa mission, vous demande des comptes. Aux dires des autorités kényanes, leurs juridictions nationales sont compétentes pour juger les personnes que la CPI veut entendre.

Mais qu’ont fait ces juridictions depuis les massacres de 2008 ? Rien. On sait en quoi consiste généralement l’indépendance de la Justice en Afrique. Les auteurs présumés des violences
post-électorales de 2008, surtout ceux qui sont censés en avoir été les commanditaires, ont été protégés ou, à tout le moins, n’ont pas été inquiétés par la Justice kényane. La CPI, devant le mutisme et le laxisme de ces juridictions et l’impunité qui en a résulté, était en droit de prendre ses responsabilités.
En d’autres termes, elle s’est sentie obligée de faire le travail que la Justice kényane n’a pas pu ou voulu faire. Que l’on n’aille donc pas accuser la CPI d’ingérence dans ce dossier. Elle a le devoir de rendre justice aux victimes, surtout dans leur faiblesse, en réprimant les auteurs des crimes les plus affreux. Ce faisant, l’existence même de cette juridiction est une chance pour les plus faibles de ce monde qui peuvent espérer que quelqu’un puisse condamner ceux qui viendraient à les brimer.

L’idée selon laquelle les Africains seraient les cibles privilégiées de la CPI, gagnerait aussi à être relativisée

Pour bien des dictateurs, la crainte de la CPI les empêche de « massacrer en rond ». Sa crainte est le début d’une certaine sagesse des dirigeants. En effet, ils savent qu’ils ne peuvent pas museler les juridictions internationales comme ils le font avec les juridictions nationales. Ainsi, la crainte d’avoir à répondre un jour de leurs actes au plan international, oblige bien des gouvernants à se contenir, à avoir un minimum de respect pour leurs propres populations. C’est donc peu de dire que la CPI est l’un des derniers remparts des sans- culottes et des opprimés contre les puissants du moment. L’idée selon laquelle les Africains seraient les cibles privilégiées de la CPI, gagnerait aussi à être relativisée. Certes, la CPI, dans bien des dossiers, n’a pas su faire preuve d’une impartialité irréprochable. Elle n’a pas toujours ouvert des enquêtes sur tous les crimes perpétrés dans les conflits et certains auteurs présumés d’exactions ne sont, par conséquent, pas vraiment inquiétés ; ce qui est critiquable et entame quelque peu sa crédibilité et mérite d’être corrigé au plus tôt. Et en cela, elle devrait aussi communiquer un peu plus afin de mieux faire connaître ses missions aux populations. Mais force est de reconnaître que le continent noir est réputé pour sa mal gouvernance, ses conflits intercommunautaires violents et ses crises post-électorales sanglantes.

Au regard de ces réalités, on peut, tout en exigeant que la CPI ait la même rigueur vis-à-vis de tous les auteurs présumés de crimes dans le monde, comprendre que beaucoup d’Africains soient actuellement au nombre des prévenus ou des pensionnaires potentiels de la Haye. Cela dit, l’accession de la Gambienne Fatou Bensouda au poste de Procureur de cette juridiction devrait, un tant soit peu, rassurer les populations que la CPI n’est pas une institution contre les Africains et que les dirigeants africains poursuivis ne le sont qu’au regard des présomptions de crimes qui pèsent sur eux.
Et comme ils bénéficient de la présomption d’innocence jusqu’à ce que leur éventuelle culpabilité soit reconnue par la Cour, il leur appartient de se défendre, de confondre l’accusation plutôt que de se débiner. En effet, il est notoire que la CPI peut, au terme de la procédure, estimer que les faits ne sont pas établis, et prononcer la relaxe au profit de tel ou tel autre prévenu. C’est dire que le droit a un procès équitable y est garanti. De quoi donc a peur Uhuru Kenyatta ? S’il n’a rien a se reprocher comme il le clame, il a même intérêt à saisir l’occasion de cette audition pour faire la lumière sur cette affaire. De ce fait, les manœuvres des autorités kényanes pour se retirer de la CPI sont incompréhensibles ; ce d’autant plus que le retrait du pays des Etats membres de cette juridiction n’a aucune faculté d’annuler ces poursuites contre Kenyatta et compagnie. Il faut maintenant espérer que cette velléité kényane de se retirer du Statut de Rome n’inspire pas d’autres Etats africains. En tout état de cause, toute fragilisation de la CPI ne serait que dommageable pour les droits de l’homme, et surtout pour les peuples africains.

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